Histoire de la construction européenne
La construction européenne est un bien bel édifice dont le professeur Zorgbibe nous montre la touchante histoire depuis les premières pierres posées à la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au récent traité de Maastricht. La compétence juridique de l’auteur et sa lucidité politique ne pouvaient manquer de déceler les lézardes qui apparurent peu à peu et dont l’importance est allée croissant. La méthode de construction était pourtant originale. Les pierres de base de l’édifice étaient sectorielles : Communauté du charbon et de l’acier (CECA), industrie nucléaire (Euratom). L’échec de la Communauté européenne de défense (CED) ne remettait pas en cause la dynamique et le pas décisif était franchi en 1957 au traité de Rome.
Cependant, pour des raisons doctrinales, l’édifice européen risquait de s’en tenir aux fondations. D’une part la conception gaullienne d’union d’États traduite dans le plan Fouchet s’opposait aux tendances supranationales de la Belgique et des Pays-Bas ; d’autre part la Grande-Bretagne était rejetée dans les mêmes ténèbres que les États-Unis sous l’accusation d’être leur « cheval de Troie » au sein de l’Europe.
Dix ans se passent et le président Pompidou relance la machine à La Haye, accueille l’Angleterre. Les années 1970 voient l’édification du système communautaire avec ses organes dirigeants : Conseil des ministres. Commission, Parlement, Cour de Justice. Toutefois l’entreprise ne va pas sans heurts car les projets sont ambitieux : soit qu’il s’agisse d’une « communauté politique » où les conceptions s’affrontent en matière de pouvoirs publics originaux ou en élection au suffrage universel des membres du Parlement, soit qu’il s’agisse de la construction d’un nouveau droit public avec la « convention européenne des droits de l’homme ».
Dans le domaine des relations internationales, la Communauté a essayé de se forger une personnalité propre, aussi bien dans ses rapports Nord-Sud marqués par les anciens liens coloniaux que dans ses approches vers le monde de l’Est plus pragmatiques mais bien hésitantes. Les attitudes des pays européens vis-à-vis de la crise yougoslave mettent en évidence, s’il en était encore besoin, les difficultés d’une politique étrangère communautaire. Pourtant certains s’impatientent et réclament des signes tangibles de progrès vers une Europe unie : c’est l’Acte unique en 1987, c’est le Marché sans frontières en 1993 en passant par les Accords de Schengen. C’est aussi et surtout le pas irréversible à franchir par le traité de Maastricht dont les divers modes de ratification ont obligé les Européens à s’intéresser à cette construction européenne et à l’avenir qu’elle peut leur réserver. Qu’en pense M. Zorgbibe ? Peu de bien assurément ! L’Union économique et monétaire a tout d’un « bricolage du facteur Cheval », dont la future monnaie européenne « European Currency Unit », dite l’Écu, est une parfaite illustration.
La conclusion est impitoyable : les divers discours du président français, ses objurgations relèvent de l’exercice d’acrobatie. Que nous reste-t-il donc, sinon à nous défendre contre les « dérives » supranationales et incontrôlées de la Commission dont les négociations avec le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) sont un malheureux exemple qui par ailleurs provoquera peut-être un sursaut des États ?
Enfin nous devons à M. le professeur Zorgbibe une démonstration en tout point remarquable de l’édification, bloc par bloc depuis plus de 40 ans, de l’Europe actuelle. Sa construction n’a pas toujours été très cartésienne, mais c’est là tout le mérite des propositions de l’auteur pour un avenir possible des Communautés. ♦