Le scandale Kennedy. La fin d’un mythe
Depuis sa mort tragique en novembre 1963 à Dallas, la vie et la carrière politique de John Kennedy ont fait l’objet de nombreux documents qui ont contribué à renforcer le mythe de ce président américain hors du commun. Or cet homme sur lequel beaucoup de spécialistes ont bâti une véritable légende, continue de susciter des interrogations. Fascinés par le personnage, certains analystes ont effectué des recherches poussées sur l’étonnante carrière de ce jeune chef d’État d’un style particulier. Avec le recul du temps, des données essentielles ont ainsi apporté un nouvel éclairage sur une période capitale de l’histoire des États-Unis.
L’auteur, Thomas Reeves, nous révèle une multitude de détails sur la famille Kennedy, cette « dynastie » prestigieuse avide de pouvoir et bénéficiant de gros moyens financiers pour parvenir à ses fins. Il souligne notamment le rôle majeur que joua le père, surnommé « l’Ambassadeur » (Joe Kennedy a été ambassadeur à Londres) pour faire élire son fils John à la Chambre des représentants, puis au Sénat et enfin à la Maison-Blanche. La description de ce puissant clan catholique n’est pas faite sur un ton provocant susceptible de soulever une polémique. Bien au contraire. Tout en reconnaissant le sérieux des œuvres dithyrambiques de l’historien Arthur Schlesinger Jr et de Théodore Sorensen consacrées à cette figure charismatique, Thomas Reeves a le mérite de se lancer dans un examen approfondi sur les zones d’ombre qui ont étayé le parcours du plus jeune Président des États-Unis. Le sens des affaires, le talent oratoire et l’extraordinaire dynamisme de John Kennedy sont mis en valeur dans la première partie du livre consacré à sa biographie. Celle-ci mentionne également le courage de l’homme qui a été élevé au rang de héros national pendant la Seconde Guerre mondiale (à l’occasion du naufrage du PT 109 dans le Pacifique) et qui a été très affaibli par la maladie (JFK souffrait d’une insuffisance rénale grave). La vivacité de son esprit de décision apparaît lors de la crise des missiles de Cuba en octobre 1962 où le chef de la Maison-Blanche, grâce à une exceptionnelle maîtrise des événements, réussit à interrompre un dangereux processus d’affrontement avec l’URSS, tout en préservant les intérêts vitaux de la nation américaine. L’autre grand succès du Président démocrate concerne son attitude militante en faveur de l’égalité raciale qui enclenchera une nouvelle dynamique de justice sociale à l’égard de la communauté noire.
Selon l’auteur de cet ouvrage particulièrement riche en anecdotes les plus diverses, le bilan de John Kennedy est cependant fortement entaché par des affaires intérieures et des graves erreurs en politique étrangère aux conséquences désastreuses. Dans le domaine de sa vie privée, la passion « maladive » des femmes a ainsi conduit le président américain à multiplier des liaisons imprudentes, notamment avec des actrices célèbres. De nombreuses informations recoupées révèlent aussi que le comportement moral de ce chef d’État pourtant très populaire a été affecté par les liens étranges qu’il a entretenus avec des membres de la pègre (dont certains parrains auraient participé au financement de sa campagne présidentielle). Les fâcheuses escapades de ce personnage souvent immature dans ses relations privées soulèvent un point essentiel : il s’agit de la responsabilité morale des Présidents envers le peuple américain très attaché à certaines valeurs fondamentales. Depuis George Washington, il existe en effet un contrat implicite entre le chef de l’exécutif et la nation américaine qui laisse entendre que le plus haut représentant du pays doit posséder des vertus de dignité et d’intégrité personnelle. Pendant les mille jours de sa présidence, Thomas Reeves estime que John Kennedy « a violé l’alliance » avec ses concitoyens. Cette rupture de contrat, connue aujourd’hui, a détruit le mythe Kennedy.
Dans le domaine extérieur, les observateurs politiques soulignent essentiellement deux échecs cuisants : la désastreuse expédition des opposants castristes dans la baie des Cochons en avril 1961 et le début de l’intervention américaine au Vietnam. Dans le premier cas, il apparaît clairement que le président Kennedy a été manipulé par la CIA. Dans la seconde affaire, une analyse erronée sur la situation dans le Sud-Est asiatique a entraîné le chef de l’exécutif américain dans une escalade qui se révélera par la suite catastrophique. Les adversaires du Président démocrate relèvent en effet qu’au début de 1961 il y avait 685 conseillers américains au Vietnam ; en octobre 1963, ils étaient près de 17 000. Pendant cette période, l’aide de Washington au régime de Saïgon avait atteint 400 millions de dollars par an. Aujourd’hui, l’histoire fait ainsi porter une lourde responsabilité à John Kennedy sur ce qui est devenu plus tard le « syndrome vietnamien » de l’Amérique.
L’ouvrage de Thomas Reeves sur l’œuvre contrastée de John Kennedy présente un intérêt historique évident en raison de la précision de l’analyse et surtout de la richesse des sources d’information qui s’appuient sur une centaine de témoignages et de livres parus au cours des 30 dernières années. Il arrive à un moment opportun où un nouveau débat est en train de se développer sur les circonstances étranges de l’assassinat d’un des plus énigmatiques Présidents des États-Unis. ♦