Communismes d’Asie – Le crépuscule de l’espoir
L’Asie, la plus belle conquête du marxisme, a assisté étonnée et inquiète au raz-de-marée réformateur du grand frère soviétique. Celui-ci n’est plus, mais le communisme se débat et survit. L’Asie est-elle son refuge ?
Richard Sola, remarquable analyste de la diplomatie des deux « grands », URSS et Chine, entre eux et avec les pays d’Asie, a regroupé ses observations depuis le déclenchement de la perestroïka par Gorbatchev en 1987. À grands coups de projecteur il éclaire les réactions, l’évolution des satellites asiatiques face aux bouleversements du modèle soviétique. La finesse de sa perception politique lui permet de déceler des tendances très différentes. Si, d’une part, il constate les effets dissolvants du réformisme soviétique sur les régimes marxistes d’Asie, il ne nourrit, par contre, aucune illusion quant au net refus de mourir du communisme asiatique.
En effet, en Asie comme en Europe, la perestroïka signe la fin de l’ordre de Yalta, avec un dégel des antagonismes, un désengagement des États-Unis en Corée, aux Philippines, en compensation de la dilution de la menace soviétique en Europe ; mais c’est la tournée asiatique, en 1987, du ministre soviétique des Affaires étrangères qui annonce véritablement une nouvelle attitude stratégique.
La « flexibilité » prônée par M. Chevardnadze le pousse à des ouvertures commerciales vers l’Asie démocratique (Indonésie, Thaïlande, Australie), à une offre de normalisation de la frontière avec la Chine, mais se heurte aussitôt aux préalables de cette dernière : retrait soviétique de l’Afghanistan et de la Mongolie, retrait vietnamien du Cambodge.
Un peu plus tard, en 1989 et 1990, Gorbatchev conduit lui-même une offensive de détente vers les « démocraties impérialistes » : Corée du Sud, Chine nationaliste, Japon. La démarche est d’autant plus audacieuse qu’elle vise la fraction capitaliste et libérale de deux pays partagés dont la fraction communiste nie jusqu’à l’existence juridique. L’économie primant les scrupules idéologiques, les échanges se développent tant avec Taïwan qu’avec Séoul. La seule rebuffade est essuyée en 1991 au Japon qui reste intransigeant sur le problème des îles Kouriles.
Si la perestroïka a bouleversé les rapports du grand frère soviétique avec ses amis d’Asie, si elle a ébranlé les certitudes de ces derniers, cela ne veut pas dire que le communisme asiatique consent à mourir. Les formes de résistance sont diverses. Parfois on anticipe, comme en Mongolie, en organisant une restructuration préalable, la « shinechlel », et le Parti communiste s’en tire en laissant Confucius prendre le pas sur Marx. Parfois on compose comme au Laos où tout se négocie, y compris le retrait des troupes vietnamiennes, des élections faussement libres et le maintien débonnaire du Pathet Lao.
Au Vietnam, où la doctrine, la logique et les voisins pèsent lourd, il s’agit « de se réformer sans se saborder ». Du fait de l’aide et de la présence soviétique, la perestroïka y est plus sensible. Non sans sursauts internes, une nouvelle Constitution consacre en 1992 le dogme du parti et une économie à la taïwanaise. Au Cambodge, compromis n’est plus que confusion, confusion politique d’abord, mais économique aussi.
Parfois enfin on durcit le ton, c’est le cas de la Chine et de la Corée du Nord. Ces deux pays se découvrent « gardiens du marxisme », le premier contraint à la violence politique face à la déliquescence soviétique, le second soutenu par un rêve dynastique fou où le collectivisme poussé à l’extrême confine à l’absurdité. Dernière patrie du socialisme depuis l’abandon russe, la Chine en 1991 et 1992 va établir une nouvelle formule de survie du régime en associant une « glaciation politique » à des réformes économiques très réalistes. La Corée du Nord, consciente de sa folie mais pas encore guérie, s’oriente depuis 1992 sous l’aile de Pékin vers un « socialisme asiatique adapté » tout en émettant l’idée d’un système confédéral avec la Corée du Sud.
Des crises, des luttes, des contradictions, des déchirements sont encore à prévoir, et Richard Sola n’est pas près de clore cet immense chapitre. Son talent et sa lucidité lui ont permis par ses observations de comprendre, mais pas encore de prévoir. Que peuvent réserver les convulsions d’un continent qui tente de se débarrasser du virus marxiste ? Si ses habitants sont inquiets, ses voisins ne le sont pas moins. ♦