Golfe et Moyen-Orient, les conflits
Voici un excellent petit ouvrage d’actualité sur la « der », très documenté tout en étant de lecture facile. Après une préface voltairienne de Thierry de Montbrial, les auteurs tracent le cadre du récent conflit tel qu’il apparaissait à la veille de la crise. La stratégie occidentale, qui privilégiait de longue date une menace soviétique indirecte s’exerçant par le biais de l’Irak, est « partiellement responsable de la tension, davantage que le radicalisme irakien en tant que tel ». Les revendications sur le Koweït et surtout sur les îles côtières étaient fort anciennes ; le général Kassem les avait mises en avant dès 1961. Trente ans plus tard, Bagdad « voit partout l’hostilité, non pas tant parce que le chef souffre d’une quelconque paranoïa mais parce que le système a besoin pour survivre d’entretenir l’impression d’un danger permanent ». Il en résulte « une conception que l’on peut qualifier d’israélienne, selon laquelle les dangers qui menacent le pays sont tels qu’une stratégie purement défensive est insuffisante et qu’il est parfois nécessaire de prendre l’initiative d’une attaque militaire pour assumer la sécurité nationale ». Ces citations montrent le bien-fondé de ce que le citoyen moyen soupçonnait plus ou moins : une bonne dose de malentendu, la fuite en avant, le choc inéluctable…
Le passage en revue des acteurs et des spectateurs permet de voir la façon dont la « conjonction des enjeux », analysés de façon pertinente en peu de pages, a entraîné une internationalisation rapide. Pour les États-Unis, le Golfe constitue une zone d’intérêt majeur et, outre les motifs liés au pétrole et à la prolifération inquiétante des armements, quelle occasion superbe d’« enterrer le spectre du Vietnam » ! L’Union soviétique n’est décidément pas en période faste ; alors que les « blessures de l’Afghanistan ne sont pas pansées », voici apportées les preuves à la fois des failles de sa doctrine militaire traditionnelle et du peu de fiabilité de sa protection. La France pour sa part évolue entre les récifs : son souci sera de démontrer au monde arabe qu’il fallait « passer par cet épisode exceptionnel, douloureux, mais nécessaire » d’une politique traditionnellement favorable à ses aspirations. Quant aux proches, il ressort clairement que les intérêts nationaux ont prévalu, à l’intérieur de marges de manœuvre extrêmement faibles (et que la coalition fut en conséquence hétérogène), chacun poursuivant des ambitions (Turquie), réglant des comptes (Égypte), achetant sa sécurité (Arabie saoudite), retrouvant une virginité (Syrie et Iran), se trompant dans ses calculs (Organisation de libération de la Palestine, OLP) ou « faisant le grand écart » (Maroc). Le summum de l’inconfort revient au « petit roi » qui a finalement longé le bord du gouffre avec un sens aigu de l’équilibre.
Le résultat était couru. Il est certainement exagéré de crier au miracle ou à la résurrection du génie napoléonien en constatant la « victoire de la plus grande puissance militaire sur un État du Tiers-Monde ». On comprend, sans être un expert, que la seule méthode praticable par les Américains était d’éviter à tout prix l’enlisement et pour cela d’adopter la « stratégie de la force écrasante, combinant les avantages de la rapidité et d’un coût humain minimal ». Bien sûr à Wagram, l’Empereur ne préparait pas les élections de 1810… En revanche, on se penchera avec attention sur les passages concernant les erreurs d’appréciation de Saddam qui a « sous-estimé l’hostilité de l’Iran à son égard et surestimé la volonté ou la capacité de l’Union soviétique à infléchir la stratégie américaine ». Et on admirera en face la « constance et la logique » de la ligne suivie à Washington, ainsi que « l’habileté consommée du tandem Bush-Baker » dans la mise en œuvre (il est vrai, dans des conditions imprévues) d’une doctrine définie initialement… par le président Carter ! Tout cela sans se permettre d’aller jusqu’aux accusations de machiavélisme et aux interrogations sur le rôle quelque peu trouble joué par les hommes (et les femmes) du Département d’État.
La conclusion est loin d’être optimiste : les soldats de l’Oncle Sam (ou au moins ses aviateurs et ses marins) ne sont pas près de quitter les lieux, les ayatollahs restent inquiétants, la succession de Saddam (au cas où elle se trouverait ouverte) ne serait pas évidente, le « verrou israélien » n’est pas débloqué, le problème kurde est revenu sur le tapis… bref, un après-guerre chaotique.
Les deux chercheurs à l’Institut français des relations internationales (Ifri), Mesdames Kodmani-Darwish et Chartouni-Dubarry, qui ont écrit ce livre, ont fait du bon travail. Malgré les consonances orientales de leur nom, elles ne se sont pas voilé la face pour nous initier aux complexités de ce Golfe dont il sera sans doute encore bien souvent question dans l’avenir. ♦