Pétrole
L’équipe d’économistes (et non de géologues ou de chimistes) Jacquet et Nicolas procède à la présentation de la gamme des produits, mais insiste surtout sur celle des acteurs et du fonctionnement des marchés pétroliers : diminution de la part amont des « Majors » au profit des compagnies publiques des pays producteurs et « démantèlement du système antérieur d’intégration du puits à la pompe » ; volatilité et instabilité du marché spot ; variété, souplesse et complexité des contrats ; et finalement une constatation : le marché pétrolier est un marché financier. « La proportion des opérations à terme se soldant par la livraison de cargaisons physiques se situe à moins de 1 % sur le marché de New York » ! Autrement dit, « les marchés à terme échappent de plus en plus aux producteurs et aux utilisateurs au profit des spéculateurs et se trouvent déconnectés des facteurs réels ». Sans doute n’est-ce pas un cas unique…
Les auteurs appliquent à l’exploitation plus ou moins aisée du pétrole la notion de rente empruntée à Ricardo. Or l’éventail des coûts de production est très ouvert et avantage grandement le Proche-Orient. Une bonne partie de l’histoire contemporaine trouve son origine dans ce fait : le passage du gâteau des Majors aux membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), la tentation de profits immédiats freinée par la modération de Yamani [ministre saoudien du Pétrole et des Ressources minérales], enfin la surproduction, version pétrolière de l’« arroseur arrosé ». Désormais, « la préoccupation de sécurité a changé de camp. Le marché a vaincu le cartel ». Les consommateurs en profiteront-ils ? Pas totalement, car « l’effondrement des prix entraîne des effets pervers » et le machiavélique Japon d’appuyer l’effort américain pour le soutien des cours « afin d’éviter que la diminution de sa facture pétrolière ne mette encore plus en vedette son excédent des paiements courants » !
Comme dans d’autres domaines, la guerre du Golfe servit de révélateur. Les lois du marché l’ont emporté encore une fois. Le « trou laissé par l’Irak » a été vite et facilement comblé. Faut-il pour autant, à la lumière de cet épisode, prôner le libéralisme pur ? Sûrement pas, car « confusion et incertitude » ont dominé le déclenchement d’une crise « provoquée pour la première fois par les consommateurs ». Ce sont les « anticipations pessimistes » qui ont joué un temps, environ un trimestre. « Le marché libre n’est pas une garantie de bon fonctionnement des échanges. » Il conduit à « surréagir en cas de perturbations ». Il n’est pas « un instrument de planification stratégique ». Il existe donc en conclusion des mesures à recommander, parmi lesquelles la constitution (et surtout la judicieuse gestion) des stocks. Tout le monde a intérêt à rechercher la régularisation, car le maître mot est celui d’interdépendance et les « ajustements brutaux » ne sont bons pour personne.
Cet ouvrage dont les sources, récentes, sont référencées à la page près avec un évident souci d’honnêteté, est au premier degré consacré à une étude des transactions et des politiques pétrolières. Il est précis et documenté sur le fond comme sur les données chiffrées qui occupent 40 pages d’annexes. Les mauvais esprits s’amuseront à y relever qu’en France, le coût de production du litre de super entre pour 4,6 % dans le prix payé à la pompe. Il sera en même temps rassurant de constater que nos importations sont tombées de 142 à 96 millions de tonnes en 15 ans. Au second degré, les auteurs ont profité d’un aussi beau sujet pour une leçon d’économie, voire de philosophie. L’exemple du pétrole fait apparaître qu’« il est loin d’être prouvé que la disposition de ressources nationales est un facteur déterminant de succès » (l’Espagne des galions !), que l’abondance entraîne gestion laxiste, dépenses de prestige, afflux de main-d’œuvre étrangère, « choc de modernité » et constitue « autant un risque qu’une chance ». D’un autre côté, les intérêts nationaux (et au-dessous d’eux, les intérêts particuliers qui – relèvent finement les auteurs – « privent les projets d’une bonne partie de leur essence » !) limitent l’efficacité des instances communes (ici, essentiellement l’Agence internationale de l’énergie, AIE).
À l’image de celle-ci, les publications des chercheurs de l’Institut français des relations internationales (Ifri) consacrées aux « grandes questions de l’actualité internationale » présentent bien des vertus : des auteurs compétents y font le « point » d’un domaine précis sous un volume réduit, selon un plan clair empreint d’un souci pédagogique, et dans un langage intelligible. Ils apportent en outre des éclairages particuliers qui sont loin d’être évidents et réservent parfois des surprises. Voici donc de saines et profitables lectures. ♦