Les grandes découvertes d’Alexandre à Magellan
Les grandes découvertes n’ont cessé de fasciner. « Le temps du monde fini a commencé », disait Paul Valéry, au début du siècle. Ce ne fut pas le cas pendant des millénaires. De l’époque où les premiers navigateurs crétois ont bravé les flots de la Méditerranée jusqu’au premier tour du monde, effectué par Magellan en 1522, que d’espoirs, que de rêves, de craintes ont hanté les hommes. D’une écriture ample, dans un style aérien, où l’on hume les odeurs des mers les plus éloignées, Jean Favier a réalisé une merveilleuse fresque qui traverse les siècles et enjambe les continents. En réalité, son récit ne traite pas des seules « grandes découvertes », celles qui à partir des XIVe et XVe siècles ont jeté sur toutes les mers du monde, tour à tour, Vénitiens, Génois, Portugais, Castillans, Français, Anglais, ou Néerlandais. C’est plutôt d’une histoire mondiale de l’exploration dont il s’agit, ordonnée cependant autour, ou à partir du Bassin méditerranéen, longtemps perçu et conçu comme étant le centre des terres émergées.
Aux origines de l’aventure se situent les empires de l’Antiquité. Déjà, dès le IIIe millénaire, « routes maritimes et pistes caravanières vont avec précision vers le cuivre et l’étain comme l’or et l’argent ». Comptoirs phéniciens, colonies grecques, Empire d’Alexandre, puis domination romaine, jettent les premiers jalons de la conquête et épousent les limites du monde connu. Apparaissent les premières cartes, les premiers voyageurs et géographes. Certaines de leurs descriptions resteront valables jusqu’au Moyen-Âge. « Au VIIe siècle déjà, les Ioniens entrevoient la réalité, même s’ils font de la Terre un disque, ce sur quoi ironisera Hérodote ». Strabon, dans sa vaste géographie, réalise la somme des connaissances utiles au gouvernement d’une Rome étendue jusqu’aux limites du monde accessible.
Des grandes migrations, commencées au IIIe siècle, jusqu’aux invasions vikings de la fin du premier millénaire chrétien, l’optique change. Le propos de ces derniers sera de s’enrichir, non de fonder des empires.
C’est la dilatation du monde chrétien, les pèlerinages, les croisades qui élargiront les horizons de l’Europe. Ces phénomènes donnent lieu à d’intenses échanges et brassages humains, culturels, économiques. Les arts religieux et militaire s’enrichissent des apports de l’Orient. Mais c’est avec les routes de l’Asie que l’aventure commence. Routes de la soie et de la foi vont captiver les esprits éclairés, tenter les aventuriers, préoccuper navigateurs et marchands. Des récits, comme ceux que feront à Venise dans les années 1260 les deux frères Polo, éveilleront bien des vocations. Le réchauffement général de l’hémisphère Nord à partir des années 1350-1400 fait progresser le Sahara vers le nord. Les routes de l’or sont coupées. Il faudra trouver des substituts. Heureusement le progrès des techniques rendra possibles ces nouvelles explorations. Jean Favier consacre aux moyens toute une partie, la troisième, de son livre : observations des savants, révision des conceptions antiques, établissement de cartes graduées, imaginées chez les Arabes, mais qui ne feront leur apparition chez les Portugais que dans les années 1485. Les mappemondes se précisent ; le portulan est créé. C’est en 1492, l’année même de la « découverte » de Christophe Colomb, que l’Allemand Martin Behaim fabrique enfin un globe terrestre, le plus ancien que l’on ait imaginé en Europe depuis la sphère de bois qu’utilisa, peu avant l’an mil, le futur pape Sylvestre II.
Les navires se perfectionnent, voiles et gouvernails s’améliorent, les tonnages augmentent. L’auteur décrit avec minutie ces progrès décisifs et met en valeur le triangle de base, constitué de l’armateur, du capitaine, et du marin, sans lequel aucune percée décisive n’aurait été possible. L’État s’empare des choses : l’arsenal de Venise, avec dix-sept mille ouvriers au faîte de sa puissance, fut la plus grande entreprise du monde occidental. Mais la « sérénissime » connaîtra le déclin, ce qui ouvre, un temps, la voie aux Génois, puis aux Portugais. On connaît le rôle joué par Henri le Navigateur, le quatrième fils du roi Jean 1er.
Ces facteurs rendent possible la découverte du monde. Les routes du Soudan sont explorées par le marocain Ibn Battuta, dont le mérite, comme pour Marco Polo, fut d’avoir laissé un livre. Les côtes de l’Afrique sont sillonnées de 1415 (Ceuta) à 1488 (Cap de Bonne-Espérance). Mais l’essentiel reste à faire : trouver le passage « vers l’ouest » pour les Indes.
Ce sera l’œuvre d’un fils de tisserand génois, opiniâtre, armateur éclairé, qui parviendra à convaincre les rois catholiques de la possibilité d’effectuer la traversée, non sans avoir été éconduit, à plusieurs reprises, par le souverain portugais, ainsi que par l’Angleterre et la France. En cent pages fort documentées, Jean Favier remet en perspective cette véritable épopée que fut 1492. À près d’un an de la célébration du cinquième centenaire de la « rencontre » des deux mondes, son récit est captivant. Colomb croit avoir trouvé la route des Indes et approché les îles externes de l’Asie. Il meurt à Valladolid, le 20 mai 1506, dans l’amertume d’un homme dupé. C’est à Magellan que reviendra l’honneur de contourner le monde en 1521 ; il sera atteint par une flèche sur la grève de la petite île de Mactan. Désormais, le soleil ne se coucha plus sur l’Empire de Charles Quint.
Heureusement, Jean Favier illustre son ouvrage de nombreuses cartes. Signalons aussi l’intéressant atlas de Peters, récemment paru chez Larousse, qui offre une vision du monde inédite car elle permet de voir tous les pays et continents à la même échelle. Ce principe de la conservation des surfaces, ajouté à une nouvelle et universelle représentation du relief, permet une transformation de notre conception du monde. ♦