Les Allemands du XXe siècle, 1890-1990, Histoire d’une identité
Christian von Krockow décrit la gestation du sentiment d’identité de la nation allemande depuis 100 ans, sous son double aspect politique et culturel. Les principaux dilemmes que les Allemands ont dû trancher : Bismarck ou Guillaume II, Weimar ou le totalitarisme, une République fédérale d’Allemagne (RFA) occidentalisée ou l’unité neutre, ont été autant des obstacles que des fondations politiques. Quant à l’aspect culturel, il est constitué par l’antagonisme fondamental entre la communauté nationale (Volksgemeinschaft) et la tradition républicaine.
Ce livre est intéressant, car il est inscrit dans la longue durée, de 1890 à 1990. La perspective ainsi ouverte permet de saisir les difficultés et les fatalités. Ensuite, il s’agit d’un travail d’Allemand : dans une bibliographie de près de mille titres, on trouvera à peine trente références étrangères. Mais surtout, le lecteur aura compris comment l’absence de bourgeoisie, anéantie pendant la guerre de Trente ans, a créé en Allemagne un hiatus typique entre le peuple et les dirigeants. Ce maillon disparu explique la propension allemande à s’en remettre au jugement et au discernement des responsables politiques.
Cette lecture suscite cependant une réaction et une interrogation. Réaction quand, dans son épilogue, l’auteur estime que pour expliquer le national-socialisme on ne peut avoir recours aux critères européens d’interprétation de l’histoire, acceptant donc l’idée, en 1933, d’une rupture du contexte politique continental. Cela ne cadre pas avec le choix de Krockow qui présente le IIIe Reich sans solution de continuité avec Weimar et l’après-guerre. On sait aussi, depuis Tocqueville, que dans la vie des sociétés les ruptures ne sont qu’apparentes.
L’interrogation n’est pas une inquiétude. Le patriotisme constitutionnel et la disponibilité permanente à l’unité ont fondé la nation de la RFA. Qu’en reste-t-il après l’unité ? La Constitution, bien sûr, mais est-elle adaptée à la nation est-allemande et, surtout, à l’Allemagne tout entière ? La démocratie de Bonn est-elle extensible jusqu’au Brandebourg ? L’auteur ne répond pas, mais ce sera l’un des mérites de ce livre d’avoir posé la question. ♦