La Palestine. Histoire d’une terre / Intifada. Vers la paix ou vers la guerre ?
Siège des premières expériences de domestication des plantes et des animaux, de la production de céramique, de métallurgie, d’urbanisation, de la constitution d’États territoriaux, la Palestine a toujours occupé une place centrale dans le devenir régional et souvent planétaire. Pointe extrême de l’Asie, elle est par là même un pont vers l’Afrique, par lequel ont transité dans les deux directions les expériences culturelles, les rapports politiques et commerciaux. Mais c’est surtout en tant que « façade » de l’Asie que la Palestine a été plus familière aux Européens. Quant aux données géographiques permettant de délimiter la région, elles sont largement connues : déserts de Judée et du Sinaï qui se parcourent à pied en deux jours ; Jourdain, fleuve dont la traversée n’offre guère de problèmes techniques, alors que son « passage » comporte une telle empreinte idéologique. C’est au sud que la Palestine manque de frontière bien délimitée : il a fallu inventer un « fleuve d’Égypte », Wadi el Arish, qui coule quelques heures par an dans un lit la plupart du temps à sec.
C’est Hérodote qui a mentionné pour la première fois cette terre « Palaistine » qui en grec désignait la terre des Philistins. Les auteurs nous font franchir ces siècles chargés d’émotion, de tensions et d’espérance. Que de mythes ont fécondé cette terre ! La sourate XVII du Coran, le « voyage nocturne », ne porte-t-elle pas sur le voyage accompli dans l’au-delà de son vivant par le Prophète vers Jérusalem ? Mais pour le lecteur d’aujourd’hui, c’est la tentative des auteurs de fournir une définition plausible des Palestiniens entre le VIIe et le XXe siècle qui représente l’élément le plus intéressant de l’ouvrage. L’entreprise n’est pas aisée, tant les populations se sont succédé sur cette terre, se fondant toutes dans le creuset originel, mais apportant souvent des traits particuliers qui ont enrichi la physionomie locale. L’identification entre Arabes et musulmans n’a jamais été automatique en Palestine.
1799, date de la campagne d’Égypte, ouvre une nouvelle phase de l’histoire du Proche-Orient que les auteurs relatent à grands traits. Goût de l’orientalisme, attachement aux Lieux saints et prise de positions stratégiques gardant la route des Indes, ont renouvelé l’intérêt des Européens pour cette terre. Pourtant cet aveu : « La Palestine apparaît durant cette période comme la grande absente » (page 197). Certes, admettent les auteurs : « Une histoire palestinienne existe, plus ou moins souterraine encore, plus ou moins périphérique comme elle a toujours existé et qui se poursuit en relation étroite avec un territoire déterminé, celui de la Palestine » (page 206). C’est à ce point de la trame historique que débute précisément l’ouvrage de Jean-Paul Chagnollaud.
Alors qu’une conscience nationale, encore bien embryonnaire, émergeait en Palestine au début de notre siècle, elle s’est aussitôt brisée dans les années 1930, du fait des profondes rivalités entre les grandes familles de la région. Cela explique pourquoi, après la défaite de 1948, la place laissée vide a été aussitôt occupée par les États arabes, qui feront les choix que leurs intérêts commandent sans se soucier du devenir palestinien. Ces faits une fois rappelés, il procède à une description de l’intifada. La génération de l’intifada est la première née sous l’occupation israélienne. Ce trait n’est pas original en soi, mais éclaire utilement toute la question. « Nos parents nous soutiennent moralement car nous leur avons rendu la dignité », tel apparaît le ressort de leur entreprise. Jean-Paul Chagnollaud décrit l’organisation, la stratégie et les implications de cette bataille de rues inédite. Il scrute aussi les réactions qu’elle a provoquées au sein de l’opinion israélienne, qui, pour l’essentiel, ont contribué à radicaliser le jeu politique. Puis il termine son investigation en décrivant la scène diplomatique proche-orientale ponctuée d’occasions manquées et de plans de paix successifs dont aucun jusqu’à présent n’a eu raison des intransigeances des intéressés. L’ouvrage a été achevé avant la crise du Golfe, on n’y trouvera donc aucune tentative d’analyse causale entre ces deux événements. Mais on peut juger bien optimiste la remarque finale : « Si la plupart des espaces politiques du monde se reconstruisent ainsi sur de nouvelles bases, pourquoi n’en serait-il pas de même au Proche-Orient ? » (page 219). ♦