Histoire de Vichy
Trente ans après le livre de Robert Aron, il était bon que quelqu’un s’en prenne aux mythes manichéens issus de la dernière guerre sur ce qui s’est passé en France depuis 1930, sans verser dans un stupide « révisionnisme ». C’est le travail courageux qu’a entrepris François-Georges Dreyfus, agrégé d’histoire, titulaire de la chaire d’histoire du XXe siècle et de sciences politiques de l’université de Strasbourg, directeur de l’Institut d’études européennes (IEP) de Strasbourg (il a été également adjoint RPR du maire de cette ville, de 1971 à 1989, et auditeur du Centre des hautes études de l’armement, CHÉAr).
Le professeur Dreyfus nous montre d’abord une avant-guerre où je retrouve mes souvenirs d’enfance et de jeunesse. Il fait apparaître la multiplicité des influences d’origines très diverses qui ont joué sur tous les milieux et tous les partis politiques, depuis la doctrine sociale de l’Église jusqu’à l’antilibéralisme et l’anticommunisme, le fascisme ayant eu finalement peu de poids. Pour ce qui concerne l’après juin 1940, il fait apparaître qu’à Vichy les choses et les gens ont profondément évolué ou ont changé. Il distingue plusieurs périodes successives, d’abord ce qu’il appelle le temps des maurrassiens de juillet à décembre 1940, celui des technocrates jusqu’en avril 1942, puis avec le retour de Laval au pouvoir et surtout le débarquement allié en Afrique du Nord de novembre 1942, le chemin inexorable vers la collaboration et la totalitarisation du régime pour finir sur une véritable nazification de Vichy après décembre 1943.
La personnalité de Darlan est centrale pour la période allant jusqu’à décembre 1942. Dans ce domaine, François-Georges Dreyfus s’appuie fortement sur le remarquable ouvrage d’Hervé Coutau-Begarie et Claude Huan, ce qui ne plaira peut-être pas à tout le monde. En fait, le professeur Dreyfus montre que bien souvent les clivages n’ont pas été entre gauche et droite, entre gaullistes et pétainistes, entre vichystes et résistants. On sait que l’opposition la plus violente contre le gouvernement de Vichy est venue des ultra-collaborationnistes de Paris. Il est aussi très curieux de remarquer la manière dont bien des idées qui ont trouvé leur application jusqu’à maintenant ont été amorcées à cette époque, comme la régionalisation.
Ce livre volumineux, plein de renseignements de tous ordres, est passionnant. Est-il passionné ? Peut-être, mais c’est surtout pour combattre des légendes qui n’ont que trop cours chez ceux qui n’ont pas connu cette époque, et qui sont souvent nées des passions encore mal éteintes et le plus souvent légitimes de ceux qui l’ont vécue. ♦