Du Ier au IVe Reich. Permanence d’une nation, renaissance d’un État
Il y a quelques mois, Régis Debray notait que « la République fédérale [d’Allemagne, RDA], avec une grande insistance, cherchait à recomposer pacifiquement un espace germanique traditionnel ». C’est à l’étude des vicissitudes vécues dans cet « espace » par la communauté allemande qu’est consacré l’ouvrage de Pierre Béhar. Agrégé d’allemand, docteur ès lettres, l’auteur enseigne la littérature et la civilisation allemandes à l’Université de Limoges. Mieux que ne l’indique le titre, un peu accrocheur, le sous-titre annonce clairement ce que ce court essai entend proposer à la réflexion du lecteur : non pas un nouveau « précis » d’histoire de l’Allemagne, mais une analyse des relations entre la « permanence de cette nation et l’alternance de ses dissolutions et de ses résurrections politiques », et cela, dans la « conviction que seule la connaissance du passé permet l’intelligence de l’avenir ».
C’est au IXe siècle que la nation allemande – dont Tacite avait déjà attesté la réalité – s’est constituée en un État. En 962, Othon se voulut empereur d’Occident mais, en moins de deux siècles, cet empire, dont le centre de gravité n’avait cessé de se déplacer vers le sud, ruinera l’État allemand. Pourtant, la nation, elle, subsiste comme le prouvent les conséquences culturelles et politiques de la Réforme luthérienne qui sut réconcilier les terres germaniques avec leur antique culture.
Tandis que les Maisons de France et d’Autriche s’affrontaient du XVIe siècle jusqu’au milieu du XVIIIe, les électeurs de Brandebourg, héritiers des chevaliers Teutoniques, édifiaient méthodiquement ce que Louis XIV, en 1714, dénonçait déjà comme « une puissance formidable à tous ses voisins », D’ailleurs, la France, avec la fragile parenthèse du renversement des alliances de 1756, contribua grandement à l’émergence de cette Prusse autour de laquelle se constituera en 1871 le IIe Reich. Jusqu’à cette date, avec une obstination étonnante, les Français, qu’il s’agisse des conventionnels, de Napoléon Bonaparte, de Talleyrand ou de Napoléon III, avaient favorisé l’unité allemande autour de la Prusse, L’opinion, égarée par Germaine de Staël et Michelet, avait ignoré les avertissements d’un Henri Heine quant aux dangers que représenterait une Allemagne réunifiée par la Prusse : ignorance qui coûtera cher à l’Europe.
Après moins de quatre siècles, le Ier Reich s’était décomposé, Pendant six autres siècles, l’unité perdue n’avait jamais été retrouvée. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, cette unité s’était progressivement reformée sous la direction de la Prusse ; mais le IIe Reich ne dura pas quatre-vingts ans. Au IIIe Reich, écrasé en 1945 et divisé en zones d’occupation, avaient succédé deux États en apparence antagonistes. À l’automne de 1989, la réunification s’annonce ; faut-il la craindre et redouter un possible IVe Reich ? Pierre Béhar, reprenant à son compte le propos de notre ambassadeur à Vienne en 1756, estime que « s’il faut tout prévoir », il ne faut pas « tout craindre ». Son analyse des transformations intervenues dans les esprits depuis 1945 et celle des conditions posées à la création d’une Europe indépendante l’incitent à estimer viable une Europe confédérée, dans laquelle la prépondérance économique de la nouvelle Allemagne, sans doute durable, ne se traduirait pas au plan politique. Pour cela, il faudrait que le poids respectif des composants de cette future confédération soit calculé de façon à compenser le risque de déséquilibre qu’un ensemble germanophone homogène constituerait inévitablement dans une Europe intégrée.
Le découpage de ces composants n’est ici qu’ébauché mais, dans son principe, une telle confédération marquerait cette « victoire de l’intelligence sur les passions » que le général de Gaulle appelait de ses vœux dès 1963.
Ce livre, très dense mais clair et facile d’accès, offre une approche solidement argumentée des problèmes auxquels l’Europe se trouve aujourd’hui confrontée du fait de la renaissance d’un État allemand après quarante-cinq années durant lesquelles la nation a obstinément affirmé sa permanence. ♦