La contestation chez les cadres de l’armée française de 1650 à 1986
C’est en historien et en moraliste que le général (CR) Pierre Denis dresse la liste des cadres militaires qui depuis trois siècles ont contesté soit les missions reçues, soit la politique des gouvernements. Inventaire que certains jugeront incomplet en n’y retrouvant pas les « réformateurs » qui de Gaston Moch à Brossolet ont remis en cause l’organisation de la défense. Mais la période est si vaste que de tels oublis sont pardonnables. L’intérêt du livre réside dans les rapprochements historiques et les perspectives qu’il ouvre. De graves problèmes de conscience ont en effet été posés aux militaires lors des époques troublées de notre histoire, et davantage lors des crises politiques intérieures que des guerres. En temps de guerre, la contestation la plus courante, pratiquée par les maréchaux Marmont ou Leclerc, conduit à la non-exécution des ordres ; très exceptionnel est le passage à l’ennemi, c’est pourtant le cas de Turenne et des émigrés. En période de crise, Pierre Denis distingue les actes individuels, qui se traduisent par des déclarations publiques et des démissions, et les rébellions collectives qui peuvent conduire à de graves excès.
Les motivations sont diverses ; parfois des militaires naïfs sont manipulés par des politiciens ; d’autres agissent par ambition ou intérêt ; mais le plus souvent, il y a conflit entre le respect de la discipline et les exigences du bien commun, de la parole donnée ou de la morale. Le règlement de 1975 définit d’ailleurs « ce qu’il faut bien appeler un devoir de désobéissance » aux ordres arbitraires ou illégaux, et précise de façon détaillée les prescriptions et les interdictions qui s’imposent aux militaires au combat. La plus grande liberté d’expression accordée aux membres de l’ex-« grande muette » devrait dans l’avenir contribuer à diminuer le nombre et la gravité des contestations. Toutefois, des situations de crise peuvent se présenter, et les critères d’appréciation proposés par Pierre Denis peuvent aider les cadres à réfléchir aux implications de l’obéissance militaire. « L’indiscipline, a dit Lyautey, est le plus difficile des devoirs du soldat ». ♦