La diplomatie de la détente : la CSCE, 1973-1989
« Une des entreprises les plus originales et les moins bien connues de la diplomatie contemporaine », affirme la jaquette. Les qualificatifs sont bien choisis. Il n’est pas banal en effet, même avec le précédent des Nations unies, d’engager dans un processus de négociations 35 participants parmi lesquels les représentants du Vatican et ceux de « micro-États » connus surtout par leur production philatélique siégeant à côté des délégations des supergrands. Il est également inattendu de voir ces négociations prendre un rythme de croisière et d’avoir à faire le point de seize ans d’activité de la CSCE. Vous avez dit CSCE ? Faisons donc l’injure de préciser : « Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe ». Rappel inutile pour les habitués du Quai d’Orsay et plus généralement pour bon nombre des travailleurs attachés au VIIe arrondissement. À part cela, il faut bien reconnaître que les résultats d’un questionnaire parmi la population seraient sans aucun doute plutôt décevants. Voilà peut-être pourquoi l’auteur, le professeur Ghebali, ne s’engage qu’avec la caution de quatre personnalités, au moyen de rien moins qu’une citation, une présentation, un avant-propos et une préface.
Abondamment documenté et solidement structuré, l’ouvrage décrit le fonctionnement de la Conférence avec ses règles spécifiques (par exemple le consensus ou la rotation quotidienne des présidents) et son déroulement d’Helsinki à Vienne ; puis il insiste sur les dix principes retenus par l’« Acte final » de 1975, avant de passer à l’examen du contenu des trois fameuses « corbeilles » qui en fait, comme les mousquetaires, sont au nombre de quatre, si l’on inclut les questions méditerranéennes, objet d’un « psychodrame générateur d’un certain folklore diplomatique », sous la pression du « lobby nord-africain » et au gré des « foucades » maltaises.
L’analyse détaillée et vivante des positions des différents groupes d’États, de leur argumentation plus ou moins souple, de l’application des dispositions adoptées, fournit une vue approfondie de la Conférence et de son impact. Elle permet, comme le fait ressortir la conclusion, de mesurer la « vitalité » de l’institution et de corriger – pour reprendre les termes de la présentation – l’opinion des malveillants qui la considèrent comme « un exercice dont la finalité unique serait devenue celle de sa propre perpétuation ».
Au-delà donc de la partie purement descriptive, Victor-Yves Ghebali met en lumière la façon dont le dialogue Est-Ouest instauré par ce canal a pu, au cours de la décennie 1975-1985 devenir « global, diversifié, régulier et dédramatisé », et contribuer puissamment à la détente, justifiant ainsi le titre de l’étude. La CSCE a lancé une dynamique dont la vigueur est telle qu’on peut se demander dans quelle mesure elle a facilité, voire provoqué, le développement de la perestroïka et l’évolution du bloc de l’Est.
Nous assistons en effet à une version contemporaine de l’arroseur arrosé. Ancienne idée de Molotov, la conférence paneuropéenne avait sans aucun doute pour but initial, essentiel aux yeux du Kremlin, la confirmation des frontières héritées de la guerre. L’adjonction, à l’initiative des Occidentaux, du thème de la « circulation des personnes, de l’information et des idées » a constitué un coup de génie, prémédité ou non. L’URSS a payé le prix fort pour un avantage qu’elle détenait déjà et a sous-estimé la portée du décalogue, « outil de promotion des droits de l’homme ». Ce qui était à l’origine pour les Soviétiques une formalité destinée à apaiser leurs partenaires, s’est révélé un piège et les a à la longue acculés à la défensive.
L’exposé s’en ressent : si la corbeille économique, « Cendrillon de la CSCE », ne présente guère de particularités et est rapidement expédiée, l’aspect politico-militaire tient une place beaucoup plus importante, surtout sous son aspect spectaculaire des « mesures de confiance… et de sécurité » qui sont devenues d’application courante et ont plus apporté que la « ronde somnambulique et improductive des MBFR ». Mais c’est la troisième corbeille qui se voit octroyer le chapitre le plus long et le plus dense.
Certes, le lecteur doit supporter, à l’occasion, le langage des diplomates : espace négociatoire (p. 3), dimension programmatique, opérationalité… Qu’il se console avec Paul Valéry, dont les propos ouvrent bien joliment le débat. Et qu’il ne manque pas de s’instruire en consultant ce livre complet et rigoureux, et d’en tirer un optimisme raisonné devant le « visage nouveau d’une Europe pleine de promesses ». ♦