Le Liban-Sud, espace périphérique, espace convoité
Le mérite, qui n’est pas mince, de Jacques Seguin, est d’avoir composé la première monographie, en langue française et d’une réelle ampleur, consacrée au Liban-Sud. L’auteur a pris soin d’établir une copieuse bibliographie (dans laquelle on regrette cependant de ne pas trouver : La rude épreuve du Liban-Sud, Beyrouth, 1981, 174 pages, important document établi par la Ligue arabe), et de dessiner de nombreuses planches cartographiques, souvent très explicites. Il étudie, successivement, le Liban-Sud en tant que région périphérique de l’État libanais, en tant « qu’enjeu territorial » dans la lutte entre Israéliens et Palestiniens comme dans l’effort des chiites s’évadant de leur marginalisation, et enfin face à Israël qui à plusieurs reprises a envahi cette région et, sous diverses formes, y maintient une emprise.
Peut-être, le chiisme étant en général assez mal connu, aurait-il été à propos d’en présenter tout d’abord une brève vue d’ensemble, puis d’esquisser son implantation historique et les modalités de son insertion, en tant que communauté et sous l’angle social et politique, dans l’édifice libanais. De la sorte, on aurait pu éviter de caractériser le chiisme par la seule citation de quelques lignes de Maxime Rodinson, évoquant d’ailleurs une de ses branches non représentée au Liban (p. 87), et de ne considérer les fêtes religieuses chiites que sous l’angle de leur exploitation par la féodalité locale (p. 92) ; il aurait également été possible de rapprocher les deux textes organisant au Liban la communauté chiite, présentés p. 44-45 et 93. Sans doute eût-il encore été à propos d’indiquer le rôle majeur joué, pour le progrès de leur communauté, par les émigrés chiites en Afrique, envoyant des fonds ou revenant au pays. On peut encore regretter que la définition de la frontière méridionale du Liban (p. 40-41, 110, etc.) n’ait pas été relatée de manière plus précise, la décision franco-britannique finale ayant substitué à la ligne droite des accords généraux un tracé sinueux laissant à Israël la colonie sioniste de Métoulla, et au Liban les agglomérations chrétiennes d’Alma ach Chaab et d’Ain Ebel. D’une manière générale, l’exploitation plus complète de l’important ouvrage d’Edmond Rabbath, La formation historique du Liban politique et constitutionnel, cité dans la bibliographie, aurait permis de mieux préciser l’histoire de l’implantation chiite au Liban, le contenu de la loi de 1962 organisant la communauté chiite, etc.
Ces quelques réserves n’entachent nullement la valeur de la consciencieuse monographie établie par Jacques Seguin. Entre autres mérites notables, on retiendra tout d’abord la critique, nuancée mais ferme, de l’attitude « d’un pouvoir central ancré au flanc des montagnes surplombant le pôle économique et financier de Beyrouth » (p. 60) et qui sera défié à la fois par les mouvements libanais de gauche, par la résistance palestinienne, par Israël et par les alliés que celui-ci s’est acquis sur place (p. 74-76, et passim).
Enfin, si l’on peut regretter que le mépris d’Israël pour les injonctions des Nations unies ne soit pas davantage souligné, on appréciera la grande rigueur des analyses que l’auteur consacre à la politique israélienne dans le Liban-Sud, politique qui oscille « entre le principe de la légitime défense et la tentation annexionniste » (p. 106). On ressentira l’éloquence des listes des raids israéliens dans la région (p. 118-119 et 168), la rigueur du relevé des dégâts subis par l’économie locale (p. 143-147) et des épreuves infligées à la population par Israël et par sa milice vassale dite armée du Liban-Sud, ALS (p. 154-157). Pour Israël, « ne s’agit-il pas en fin de compte de favoriser un éclatement du Liban-Sud en vue de permettre l’émergence de mini-États homogènes confessionnellement ? » (p. 158). L’auteur conclut que l’engagement israélien dans cette malheureuse région libanaise se solde par un « échec meurtrier » (p. 159). ♦