Géopolitique du Printemps arabe
Géopolitique du Printemps arabe
Frédéric Encel est bien connu des observateurs du monde arabe. Auteur de plusieurs ouvrages sur la question et intervenant régulièrement dans les médias, il n’hésite pas à affirmer des convictions solides – au risque de la polémique. Il n’en demeure pas moins que cet ouvrage est tout à fait passionnant et apporte un éclairage très pertinent sur le Printemps arabe. Certes, la RDN a abondamment publié sur ce thème. Il y a eu ainsi très récemment le numéro de l’été 2014 sur le Levant dirigé par Pierre Razoux et celui de février 2015 intitulé « Les printemps arabes », sans parler des articles publiés sur le site de la revue.
Cependant, il est dans les missions de la RDN d’indiquer les ouvrages sérieux et importants contribuant au débat stratégique et qui méritent l’attention de nos lecteurs. Et ce livre en fait indéniablement partie. À noter d’ailleurs que l’auteur, avec raison et prudence, souligne que le sujet est loin d’être clos et que les perspectives ne cessent d’évoluer, avec notamment l’avènement barbare et inopiné de l’État islamique comme nouvel acteur du Printemps arabe.
Autour d’un préambule et de quatre chapitres bien structurés, Frédéric Encel nous propose de comprendre le pourquoi et le comment de ce Printemps qui a surpris tous les acteurs. Il faut souligner ici la pertinence du premier chapitre consacré à la crise d’identité du monde arabe avec la culture partagée dans la plupart des pays concernés du ressentiment contre le monde occidental qui serait responsable des échecs de ceux-ci. Les fiascos militaires, les faiblesses économiques et les antagonismes internes à ces États, rarement nations, ont abouti à un sentiment de frustration accumulée que les autocrates – rares étant les démocraties dans ces régions – n’ont pas su satisfaire. Le mouvement initié le 17 décembre 2010 en Tunisie par l’immolation du malheureux Mohamed Bouazizi a balayé plusieurs potentats aveugles au besoin de réformes et ouvert une boîte de Pandore que personne n’est aujourd’hui en mesure de refermer.
Autre élément d’analyse très percutante, l’attitude des principales puissances. Ainsi, pour l’auteur, Washington avec la présidence Obama s’est désintéressé en partie du Printemps arabe, ayant désormais d’autres priorités géostratégiques dans son « agenda », à commencer par l’Asie avec la Chine en puissance ambitieuse ou le retour belliciste de la Russie. Cela ne veut pas dire que les Américains ont baissé les bras, mais ils sont désormais plus regardant à apporter leur soutien à des régimes qu’ils apprécient peu ou en limitant leur engagement militaire au strict nécessaire. À cet effet, le récent contrat entre l’Égypte et la France pour les avions Rafale et la Frégate multimission (Fremm) est aussi un signal adressé par Le Caire, en quête de nouveaux appuis dans sa lutte contre le terrorisme islamiste. L’Union européenne est, quant à elle, aux abonnés absents, plus préoccupée par l’Ukraine que par la Syrie. Seule la France, historiquement liée au monde arabe, avec le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale, reste active sur le sujet, avec le risque de prises de position parfois hasardeuses et risquées. À l’inverse, Moscou reste fidèle à ses principes avec un soutien inconditionnel à la Syrie, assumant sans état d’âme la répression menée par Damas depuis plusieurs années.
Les perspectives sont donc difficiles à discerner, d’autant plus que le Printemps a révélé les fractures propres au monde arabe, avec le conflit désormais ouvert et irréversible entre Chiites et Sunnites, notamment en Irak et Syrie. Il apparaît clairement que ces deux États ne retrouveront pas d’ici tôt un semblant d’unité nationale et que les frontières ont virtuellement cessé d’exister dans cette zone entre Méditerranée et golfe Persique avec l’émergence d’une entité d’une forme nouvelle, l’État islamique.
À défaut de pouvoir prédire les suites du Printemps arabe, l’auteur souligne à raison que l’un des mérites de ces révoltes aura été l’émergence d’une revendication sociale et sociétale obligeant les pouvoirs désormais en place ou s’étant maintenus, de répondre à leur opinion publique, sans chercher à encore justifier leur incurie par une victimisation qui serait imposée par l’Occident. Le monde arabe doit désormais s’assumer ! ♦