Billet – Napoléon et ses Leudes
Celui que nous célébrons en ce bicentenaire de Waterloo savait qu’on fait la guerre avant de disserter de stratégie, que s’il faut aller du particulier au général il est essentiel de penser local et d’isoler un événement. Les empires se glissent, disait-il, dans la distance qui sépare une bataille gagnée d’une bataille perdue. Prenons la campagne de 1809 : alors que l’armée est partagée entre le Tage et le Danube, les Britanniques débarquent dans l’embouchure de l’Escaut. Panique à Paris au sein de l’élite du monde déjà rétréci, qui s’imagine l’ennemi héréditaire sur les moulins de Montmartre et décrète la levée des gardes nationaux jusqu’en Italie. Mais colère de l’Empereur qui connaît sa carte et qui, de Vienne, rapporte la mesure, expliquant pourquoi Albion va perdre dans ce Gallipoli flamand vingt milles hommes qui seraient plus utiles à Wellington tout juste arrivé en Ibérie.
L’Iron Duke finira par gagner, sacrifiant par la suite au génie de son adversaire. Or, si Napoléon fut grand pour avoir forcé des soldats ses égaux, des capitaines ses chefs ou ses rivaux, à fléchir sous sa volonté, écrit Chateaubriand, il fut aussi secondé par une pépinière d’officiers issus des guerres de la monarchie et de la Révolution qui participèrent de son génie sans chercher à penser notre totalité totalisante. Rapp, Lannes, Gérard, Marmont, Lasalle, Oudinot, Lauriston, Baraguey d’Hilliers, Friant, Suchet, Duroc, tous ceux dont les noms sont gravés sous l’Arc de Triomphe qui convoquaient la chance comme on assigne par voie d’huissier – puisqu’il n’y a qu’une seule manière d’interroger le destin c’est de le contrarier, relevait Alain – usèrent du système modulaire hérité de Carnot pour prendre ces initiatives auxquelles le chef les poussait sans être derrière eux. Un rêve pour nos militaires « félinisés » qui portent les mêmes 60 livres des soldats de l’An II, mais n’ont pas l’interrupteur de cinq grammes qui permettait aux généraux de l’Auftragstaktik de se déconnecter, tout autant pour ne pas être géolocalisés par l’ennemi à l’écoute que pour pouvoir désobéir aux injonctions inappropriées de l’OKW.
Demandons-nous si aujourd’hui l’Empereur déléguerait autant qu’il le fit, par exemple avec Davout, jamais vaincu. Assurément, même si Grouchy, troquant sa barquette de fraises pour un Félin n’aurait jamais été Desaix. Aussi lorsque le choix s’avérait mauvais, Napoléon prenait-il sur lui. Notre campagne de 1809 débuta par un grave contretemps en Italie où Beauharnais retraita. Son beau-père assuma : « Soyez vaincu, soit, vos pertes, je vous enverrai de quoi les réparer. Mais en vous confiant mon armée j’ai fait une faute, j’aurais dû vous envoyer Masséna ». Il choisira MacDonald qui franchira les Alpes jusqu’à Wagram dans son vieil uniforme de général de la République. Stendhal écrit que Napoléon ne comprit jamais qu’on ne s’appuie que sur ceux qui vous résistent. Rien de plus faux, puisque l’impénitent jacobin reçut son bâton de maréchal sur le champ de bataille, ce qui l’obligea à changer de tenue. Mais toujours avec l’interrupteur.
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