La France et l’islam
Bruno Étienne, libre penseur et libre sociologue, ne s’embarrasse pas de précautions oratoires ; ses thèses sont d’une franchise décapante. Dans son précédent ouvrage, L’islamisme radical (Hachette, 1987 ; voir compte rendu dans Défense Nationale, février 1988), il montrait la parfaite orthodoxie de la tendance dure de l’islam d’aujourd’hui, fort justement dénommée « islamisme ». Dans La France et l’islam, il se fait, sans craindre la contradiction, résolument optimiste : la France est une chance pour l’islam, et l’islam une chance pour la France.
C’est que notre république laïque est en réalité « césaro-papiste », catholique de culture et de droit, ce qui la dispose peu à accueillir en son sein une communauté musulmane qui prend conscience d’elle-même. On pourrait s’en tenir là et, quitte à passer pour compagnon de route de M. Le Pen, accepter de défendre la source chrétienne où s’abreuve, sans qu’elle le sache, notre société. Telle n’est pas l’attitude de l’auteur, qui voit – avec plaisir à ce qu’il semble – l’identité française attaquée par le « bas » (cultures régionales et cultures importées) et par le « haut » (Acte unique européen). Dans cette évolution encore floue, il observe – avec plaisir toujours – l’émergence d’une « culture-jeune » dont les « béni gavroches » seraient, dans les banlieues des grandes villes, l’avant-garde pseudo-musulmane.
Voilà donc la « chance » de la France. Celle de l’islam en France sera plus facilement acceptée : il faut lui appliquer le traitement scientifique et juridique auquel ont dû se plier les autres religions ; c’est au contact de l’Occident que l’islam peut, enfin, se moderniser. La plus claire proposition de Bruno Étienne est la constitution d’une Église musulmane de France placée, face aux pouvoirs publics, au même rang que les communautés catholique, protestante ou juive. On connaît les difficultés de l’entreprise, où l’absence d’une hiérarchie musulmane institutionnelle se double, chez nous, d’une pénurie particulière de clercs et d’une ignorance religieuse très générale chez les beurs et les immigrés. Qu’à cela ne tienne : il faut promouvoir en France une catéchèse (musulmane) dans les écoles et favoriser la création d’une faculté de théologie (musulmane). Un conseil des Églises sera mis en place, sous l’autorité d’un ministre des cultes.
Comme l’on voit, le problème est bien posé mais brutalement réglé. Très prolixe sur le caractère globalisant de la religion du Prophète, l’auteur occulte sa composante de violence, pareillement orthodoxe. Et si l’on doit un jour se réjouir de voir les musulmans de France contribuer à l’adoucissement et à la modernisation de leur dogme, les chrétiens conséquents s’inquiéteront d’une campagne qui, sous couvert de réhabilitation de l’islam, aboutirait à gommer ses traits les plus authentiques et à le rendre plus attrayant que leur propre religion.
On terminera par une citation et une interrogation. « L’État jacobin (…) laisse assassiner en toute impunité les Malek Oussekine » (p. 30) : avec son pluriel polémique, la citation se passe de commentaires. L’interrogation vise notre tout jeune académicien : après d’autres, Bruno Étienne classe le commandant Cousteau parmi les nouveaux convertis ; à notre connaissance, il y a eu démenti. ♦