Les armées en Nouvelle-Calédonie de 1853 à 1939
Sous la houlette de Hachette-Calédonie, les Éditions du Cagou se consacrent à tout ce qui intéresse la grande terre et son environnement. Il faut les remercier de publier ce très bel ouvrage qui fait revivre une page peu connue de notre histoire militaire outre-mer.
Les deux auteurs, Luc Chevalier, conservateur du musée de Nouméa (sa famille est dans l’île depuis cent vingt et un ans !) et le colonel Jean-Paul Féval, adjoint « terre » du commandant supérieur, historien titulaire d’un diplôme de 3e cycle en lettres et sciences humaines, étaient particulièrement bien placés pour réunir une collection de documents officiels, de lettres privées, d’extraits de journaux, de croquis et de photos qui donnent une idée précise et vivante des activités des marsouins, des bigors, des marins, des gendarmes et du service de santé entre la prise de possession de 1853 et l’orée de la Seconde Guerre mondiale.
Un survol d’ensemble de la politique coloniale de la France de la Restauration à la IIIe République précède une chronologie claire des événements qui ont concerné ce petit monde militaire des antipodes. C’est ensuite le moment de dépeindre son évolution et ses activités dans la découverte du pays, son occupation progressive en s’efforçant de faire cesser les guerres tribales qui ravageaient la population, la répression des révoltes aussi, mais également les conditions de vie des marsouins, en garnison et à l’instruction.
Les deux chapitres suivants, illustrés de nombreux plans et dessins traitent de l’architecture militaire en ville et en brousse. L’ouvrage mentionne ensuite la première occupation – involontaire – de Pouébo par 232 marins, rescapés du naufrage de La Seine (1846) avant d’expliquer pourquoi la Marine décida Napoléon III à implanter la France dans cette région du Pacifique, mission dont s’acquittèrent l’amiral Febvrier-Despointes et le commandant Tardy de Montravel : jusqu’en 1884, c’est le temps des « marins gouverneurs », précédant l’instauration d’un pouvoir civil. Nouméa n’est plus ensuite pour la Marine qu’une escale lointaine, de moins en moins fréquentée. Pourtant, dans les années 1930, l’Amiral Charner, le Tourville, puis le Rigault de Genouilly font sensation avec leurs hydravions.
Avec des effectifs faibles – jamais plus de 160 hommes et parfois beaucoup moins –, la Gendarmerie prend une part active à la pacification, puis au maintien de la paix sociale, à partir du débarquement, fin 1854, à Port-de-France naissant – la future Nouméa – d’un détachement d’un gradé et de 3 gendarmes.
Bâtisseurs au moins autant que canonniers, les bigors sont arrivés dès le 21 janvier 1854 : un officier et dix hommes avec deux obusiers au poste de Balade. Sous la direction de quelques officiers du génie jusqu’en 1880, leurs successeurs vont, pendant plus de quarante ans, modeler l’aspect de Nouméa et des principales agglomérations, tout en installant autour de la capitale des fortifications importantes.
Après avoir décrit l’administration militaire qui passe du commissariat de la marine à la jeune intendance coloniale, on assiste au développement du service de santé, depuis son installation en 1854 « dans une maison en bois de 9 x 5 mètres, pouvant contenir dix lits que se partagent à tour de rôle malades et infirmiers ». Ses moyens lui permettent bientôt de soigner non seulement militaires et forçats, mais aussi les tribus. Tout en combattant les diverses endémies et en enseignant l’hygiène à la population, ses médecins auront à faire face, à partir de 1899, à diverses épidémies de peste, dont on ne viendra définitivement à bout qu’en 1920.
En 1914, l’île se met en état de résister à l’éventuelle incursion de corsaires allemands ; simultanément elle envoie sur le front de France près de 2 300 hommes, caldoches mobilisés et volontaires canaques, sensiblement en nombre égal. 456 y laisseront leur vie, à peu près autant en rentreront blessés.
La montée des périls des années 1930 fait naître de grands projets : installation d’une base d’hydravions et d’une défense aérienne autour de la baie… mais la seule réalisation se borne à l’envoi par Dakar de 4 pièces de 95 millimètres désaffectées de Gorée et incapables de tirer au-delà du récif qui délimite le lagon !
En refermant le livre, on pourra regretter qu’il ne couvre pas aussi la participation de la Nouvelle-Calédonie à la Seconde Guerre mondiale : « porte-avions incoulable », elle a servi de base avancée à nos alliés pour la reconquête du Pacifique occidental, tandis que ses volontaires allaient se couvrir de gloire dans les rangs des Forces françaises libres (FFL). Mais les deux auteurs semblent prêts à s’atteler à une suite.
Comme le dit le général Franceschi dans sa préface : « … Parce que la sécurité constituait le socle de toutes les libertés, nos anciens ont rempli cette mission d’ordre et de protection avec le souci constant du respect de la dignité humaine. Mais cet impératif souvent ingrat assuré, ils ont surtout préparé et accompagné le développement du territoire, en bâtisseurs entreprenants, toujours à l’avant-garde du progrès… L’ouvrage de Luc Chevalier et du colonel Féval doit être considéré comme un vibrant hommage rendu à l’humanisme de nos anciens. Aujourd’hui, c’est l’insigne honneur et la légitime fierté de leurs descendants d’y demeurer respectueusement fidèles ».
Ce très bel ouvrage a sa place dans toutes les bibliothèques des formations ayant servi, ou susceptibles d’être un jour appelées à servir, en Nouvelle-Calédonie. Mais il retiendra aussi l’intérêt de tous ceux que passionnent le passé du Caillou et son avenir.