Occident : du déclin au défi
Lorsque l’ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) avait écrit un premier livre en 1985, l’opinion éclairée avait vu une sorte de testament politique d’un haut fonctionnaire du système des organisations internationales. L’auteur, Togolais de haute culture francophone, plusieurs fois ministre du gouvernement de Lomé, puis devenu le confesseur des chefs d’État africains à Addis-Abeba, apparaissait comme un Africain plus compétent parmi ses frères africains. Son panafricanisme rationalisé a séduit dès la parution de Et demain, l’Afrique… Les jeunes étudiants africains de Paris mettaient tous un point d’honneur à connaître les thèses d’un leader qui pouvait devenir charismatique et imposer des solutions rationnelles de gouvernement à un continent qui les oublie quelquefois.
Mais voilà qu’Edem Kodjo quitte progressivement le domaine de réflexion sur les problèmes africains que l’on commençait de lui attribuer, pour émettre des thèses sur l’Occident, dont les Africains ne souhaitent pas le voir membre, alors que sa modernité vient tout droit de cette partie du monde et de cette manière de penser. Son second ouvrage repose sur une thèse simple : s’il est de bon ton de prédire le déclin de l’Occident, Kodjo démontre que cet ensemble, au contraire, se restructure pour faire face aux problèmes de demain.
On a coutume d’entendre des thèses de cette nature, mais souvent exposées de manière partielle, à propos d’aires géographiques bien délimitées. Kodjo a le mérite de tenter d’établir une synthèse claire d’analyses sectorielles d’experts. Toutefois, on doit remarquer qu’il utilise des thèses qui l’aident à étayer la sienne.
Le début de son ouvrage est très didactique, rappelant les termes de l’affrontement Est-Ouest, la nature du système économique issu de l’Occident, la nécessité d’une Europe selon les souhaits d’un « Sturm und Drang ». Son livre commence à devenir intéressant lorsqu’il aborde « les Sud » et leurs problématiques. La démonstration des mirages et des réalités du Pacifique apporte un contrepoids intelligent aux affolements des pseudo-stratèges à propos du glissement de l’intérêt, et donc de la richesse du monde, vers cette zone.
Puis Kodjo prend son essor lorsque, malgré son souci de réfléchir à autre chose qu’à l’Afrique, il écrit sur le Tiers-Monde et sur son avenir. Sa vision claire de l’afro-asiatisme, de l’islam éclaté, et pour finir des grandes projections démographiques, lui fait retrouver la veine de son premier livre. Lawrence d’Arabie, dans Les sept piliers de la sagesse, écrivait que tout homme qui vivait deux civilisations à la fois devenait fou. Kodjo vit l’Occident qui l’a instruit. Mais c’est le Sud qui l’a éduqué. Et cet homme de bonne volonté reformule ses thèses pour la solidarité internationale, pour la fusion des mondes dans le respect des différences ; mieux ! dans l’enrichissement mutuel. Certes, la faiblesse de l’Occident réside dans la perversion de ses valeurs. « Le défi qu’il lance au monde reste matériel et scientifique. Pour les pays pauvres, le relever est nécessaire, mais le relever en infléchissant la courbe de la trajectoire de la destinée de l’homme », écrit Edem Kodjo. Il clôt, d’ailleurs, sa démonstration en indiquant que les valeurs des civilisations traditionnelles, notamment africaines, peuvent jouer un rôle essentiel dans le redressement de celles, perdues, de l’Occident. Pour une fois, une énumération précise des valeurs est donnée : « Cette conception globale de la vie et de l’existence qui détermine un type différent de rapports du temps à l’espace ; l’intégration de la mort à la vie, de l’individu au groupe, du corps à l’âme, de l’art à l’action, du travail à la personne, de la culture à la nature, bref, cette sagesse qui consacre une double lecture, objective et subjective, de la réalité ». Kodjo appelle cette conception un humanisme vivifiant. Je crois plutôt qu’il décrit des valeurs que l’Occident médiéval faisait siennes et que les révolutions technologiques et matérielles ont bousculées au point de les mettre à mal. Le témoignage tranquille du Sud peut rééquilibrer les mondes. ♦