La clôture du système international. La cité terrestre
Il est toujours émouvant de lire un bilan dressé par un homme de bien qui a consacré sa vie au service de l’intelligence et du rapprochement des membres du genre humain. C’est en 1989 que René-Jean Dupuy quittera la chaire de droit international qu’il occupe au Collège de France. La pensée qu’il livre aujourd’hui au lecteur est dégagée des scories des hésitations de la jeunesse. Son texte est dense et va à l’essentiel, simplement.
Il semble avoir trouvé ses thèmes de prédilection après une longue quête intellectuelle qui le fait partir de la technique juridique appliquée au droit international public pour arriver à la philosophie politique. L’itinéraire est de taille et il distrait des juristes ânonnants, qui, comme certains mathématiciens, n’ont toujours pas compris que le droit ou les mathématiques n’étaient qu’un instrument de l’explication du monde et non une fin en soi… La raison de la démarche de l’auteur tient sans nul doute au fait qu’il a longuement rapproché les tentatives d’explication du cosmos et des hommes, qui ont été menées au XIXe siècle, du vide de théorie nouvelle que connaît le XXe siècle, qui a tout pillé dans les délires des philosophes politiques du XIXe.
Pour Dupuy, fervent admirateur de Cassin, dont on sait les efforts pour dégager un concept de droits de l’Homme universel, l’humanité plurielle tend à s’effacer progressivement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sous la pression de deux facteurs : la télécommunication immédiate entre toutes les parties de la planète, qui engendre un système de surinformation contre lequel on ne peut plus lutter. Ce premier élément crée de facto un sentiment pour les États et pour les peuples d’appartenir à une communauté qu’ils forment contre leur gré. Le second élément est celui de la négociation entre les membres de la communauté internationale et de l’émergence d’instruments juridiques de plus en plus élaborés à force de concertation.
Néanmoins, et là le juriste est sublimé, Dupuy reconnaît pour mieux les comprendre les incessants antagonistes des humains entre eux, puisque le système du monde est maintenant un champ clos, dans lequel nous sommes condamnés à vivre en nous connaissant avant de nous reconnaître mutuellement. Il nomme cette phase d’un incertain progrès, la tragédie de la cité terrestre.
En fait, René-Jean Dupuy n’est pas le dogmatique tout mouluré de certitudes que sont les adeptes de la religion du progrès humain sans dieu. Hégélien d’un côté, il pense que de la tragédie des affrontements humains dans le champ clos de la cité terrestre peut surgir pour un moment la lumière de la paix. « Ô, récompense après une pensée, qu’un long regard sur le calme des dieux… ». Mais il contrebalance par le chaos qui impose son illogisme dans la recherche d’une cité habitable.
Il nous revient de dire qu’un grand prédécesseur de la philosophie allemande du XIXe siècle. Krause, avait résolu à sa manière les antagonismes sociaux du genre humain en étant persuadé que les autres planètes de l’univers étaient habitées et qu’il était nécessaire d’établir une fédération universelle interplanétaire. Les progrès de la technologie spatiale pourront peut-être nous faire sortir de ce huis clos sartrien dans lequel nous sommes condamnés à vivre… ♦