La nouvelle question d’Extrême-Orient. Tome II : L’ère du conflit sino-soviétique, 1959-1978
Ce livre constitue le second volume d’une série dont le tome I a porté sur la période 1945-1959, « ère de la guerre froide », et dont le tome III sera consacré à « l’ère de l’ouverture chinoise, 1979-1989 ».
L’articulation en est simple ; deux parties, chacune d’une durée de dix ans, subdivisées elles-mêmes en deux zones : l’Asie du Nord-Est, l’Asie du Sud-Est. Ce double découpage dans le temps et dans l’espace est bien entendu assez artificiel, le géographique étant le moins convaincant dans la mesure par exemple où la proximité du géant chinois se fait sentir en Corée comme à Singapour. En fait, les chapitres regroupés sous l’« étiquette » Nord-Est traitent essentiellement des rapports entre les quatre puissances dont les pavillons ornent la couverture (Chine, Japon, États-Unis, URSS), tandis que les autres concernent des événements de caractère relativement plus régional.
Le texte, dense mais dénué d’érudition et de verbiage, se révèle parfaitement clair dans l’exposé de sujets souvent embrouillés. Des analyses rigoureuses permettent de suivre des évolutions logiques qui ont abouti à des changements de cap incompréhensibles sur le moment. En particulier, une fois chassés les miasmes de la révolution culturelle, les dirigeants chinois ont adopté une attitude dont les maîtres mots furent : équilibre et contrepoids, tout comme de désuets monarques européens des siècles passés. De même, les États du monde malais furent incités à faire passer au second plan leurs querelles autour de minuscules îlots, pour tenir compte du repli britannique et des conséquences de la « doctrine Nixon ». Alors que les États-Unis lâchaient Taïwan, cherchaient à fuir le guêpier vietnamien et poussaient le Japon à prendre sa part du fardeau, les cinq de l’ANSEA (Association des Nations du Sud-Est asiatique) étaient fondés à bâtir progressivement un « pôle de résistance autonome et fiable face au communisme ».
Curieuse époque où les États-Unis, auparavant « contraints de s’appuyer sur la Chine républicaine contre le Japon militariste, ou sur le Japon démocratique contre la Chine communiste » se trouvaient en bons termes avec les deux, où « puissance maritime, ils tentaient avec la Chine l’ouverture continentale, tandis que l’URSS, puissance continentale, tentait avec l’Indochine l’aventure des mers du Sud », où enfin « ils se servaient des deux grandes puissances communistes pour aider à tenir bon sur le front intérieur ».
Au terme d’un parcours qui lui aura beaucoup appris, le lecteur n’aura buté que sur un seul point : comment un voyage secret (celui de Kissinger à Pékin en juillet 1971) peut-il être spectaculaire (p. 227) ? C’est vraiment peu, comparé aux bénéfices apportés par la synthèse annoncée en avant-propos et incontestablement réussie.
L’auteur conclut à la fois à une progression continue du communisme dans cette région du monde pendant la période étudiée (comment oublier l’épouvantable débâcle occidentale de 1975 ?) et à une dislocation parmi ses adeptes. En absorbant le marxisme, les peuples d’Extrême-Orient l’ont transformé par des données nationales jusqu’à développer des « antagonismes entre États théoriquement fondés sur la même idéologie ». Joyaux voit dans le conflit sino-soviétique aussi bien l’origine de l’établissement de relations entre Washington et Pékin que « la cause déterminante de la deuxième guerre d’Indochine ». Il confirme ainsi l’opportunité du titre choisi.
Cet excellent ouvrage comporte en annexes des informations précieuses : teneur des principaux documents diplomatiques (dont celui des accords de Paris qui avaient « toute chance de plutôt marquer la fin de l’engagement américain que le début de la paix », puisque « Hanoï n’avait pas plus renoncé à la réunification du pays à son profit que Saigon n’avait renoncé à l’élimination des communistes au Sud »), chronologie détaillée et index alphabétique. Il convient enfin, vu la rareté du fait, de rendre grâce à l’habile cartographe qui permet de découvrir, en regard du texte, le col de Se ou les îles Senkaku (dites aussi Tiaoyu), précaution utile pour le non-familier, si souvent obligé de chercher le Tourcoing dont on lui parle sur une carte bien cachée qui ne mentionne que Roubaix. ♦