L’économie de l’URSS
Concurrente des « Que sais-je ? », la collection « Repères » demande des synthèses sur les grands problèmes actuels aux meilleurs experts. Elle publie sous la signature de Gérard Duchêne un excellent dossier sur l’économie soviétique. Professeur de faculté, l’auteur s’est spécialisé dans l’étude économique de l’URSS, et plus particulièrement du budget de la Défense. À ce titre, sa compétence est reconnue dans les milieux militaires français et alliés, et il participe au Groupe d’études et de recherche sur la stratégie soviétique (Gerss). Son petit livre sera apprécié des non-spécialistes, car il présente de façon claire et concise un problème complexe.
Dans l’introduction, consacrée à la construction du système, à l’idéologie et à la sociologie, Gérard Duchêne montre comment le parti, voulant édifier une société nouvelle, unifiée et prolétarienne, n’a pas obtenu l’adhésion populaire et ne s’est maintenu au pouvoir que par la répression. La quête de l’unité est devenue le contrôle total d’une classe bureaucratique sur une société désorganisée, atomisée, « une des plus individualistes au monde ». Il est vrai cependant que « la population (surtout russe) tire une fierté patriotique du statut de superpuissance… le socialisme est aussi un nationalisme. Le peuple accepte le régime imposé… qui se traduit par un faible niveau de vie, et par l’absence de libertés : il bénéficie de rythmes de travail faibles, de la sécurité totale de l’emploi, de ressources et d’une protection sociale modestes… Tel est le compromis social implicite qui fait fonctionner l’URSS depuis plus de trente ans ».
L’économie de l’URSS ne peut donc « être comprise que par référence au politique et à l’idéologie », ce qui explique le rôle du parti, l’importance de la Défense nationale, ainsi que les comportements d’ajustement individuel aux décisions arbitraires du pouvoir. Gérard Duchêne décrit successivement les institutions économiques : comités d’État, ministères, unités de production, coopératives en tous genres. Face au parti propriétaire d’un État-monopole, les ménages conservent une certaine marge d’autonomie. Mais la fixation autoritaire des prix et des salaires, sans tenir compte du marché, provoque des situations de pénurie du travail, et de rationnement. Les objectifs prioritaires de la planification, irréalistes, ne correspondent pas aux besoins de la population. « Ainsi s’esquisse une partition de l’économie en trois grands domaines ». Le premier est celui de la planification officielle, non prioritaire, politique de la pénurie et du surinvestissement, créatrice d’une économie parallèle gérée par les entreprises, sans productivité ni qualité des produits ; elle équivaut aux trois quarts du revenu national. La deuxième économie est celle du secteur privé légal (les lopins individuels) et illégal (le marché noir), correspondant à 10 % du revenu national. La troisième économie est celle des « biens de destruction », la seule qui réponde aux normes du plan et à la demande des acheteurs, parce qu’elle est stimulée par la concurrence américaine.
La partie la plus intéressante du livre est sans doute l’analyse de « la réforme radicale » annoncée par Gorbatchev, qui pourrait arrêter la dégradation de la croissance, et transformer l’économie en une sorte de marché à la hongroise, en introduisant la recherche du profit et de la valeur ajoutée, en adoptant des prix souples, des salaires différenciés et une gestion décentralisée. Mais Gérard Duchêne observe que les transformations sont encore modestes, plus administratives qu’économiques. Il estime que la marge de manœuvre de Gorbatchev est très étroite – comme autrefois celles de Khrouchtchev et de Brejnev – car elle implique un recul du parti et des « noyaux durs » de l’économie. Il n’exclut donc pas « le maintien d’un système certes archaïque, mais qui a fait la preuve de son efficacité pour parvenir à ses objectifs idéologiques ».