Weches Deutschland soll es sein ? Frankreich und die deutsche Einhit
Nul n’était plus qualifié qu’Ernst Weisenfeld pour décrire l’évolution de la politique de la France vis-à-vis de l’Allemagne et pour rendre compte des changements intervenus dans la perception qu’ont les Français de leurs voisins d’outre-Rhin. Correspondant de presse à Paris depuis 1951 et longtemps directeur de la première chaîne de télévision allemande (ARD) en France, l’auteur de Welches Deutschland soll es sein ? [De quelle Allemagne doit-il s’agir ?] est un observateur averti des réalités françaises. Naguère, il a publié un essai clairvoyant sur la France de l’après-guerre, et son propos a toujours été de favoriser le rapprochement de deux peuples qui se sont durement affrontés dans le passé, mais dont la coopération conditionne le succès de la construction européenne. Il continue d’œuvrer dans ce sens, notamment par le biais de la revue Dokumente dont il est le rédacteur en chef et qui constitue un vecteur important du dialogue franco-allemand.
Il n’est donc pas surprenant qu’Ernst Weisenfeld aborde son sujet avec un parti pris et ne se borne pas à nous livrer une chronique dépassionnée des vicissitudes des relations franco-allemandes. Ainsi, il ne dissimule pas les réserves que lui inspirent les politiques marquées au coin du « nationalisme » ou calquées sur le modèle de l’équilibre et de la paix armée tel qu’il a prévalu sur notre continent au XIXe siècle. Résolument Européen, ses convictions se sont forgées à l’époque où, sous l’impulsion de Robert Schuman et de Jean Monnet, la France avait opté pour une solution supranationale du problème allemand et considérait que l’amarrage à l’Occident d’une République fédérale, forte et prospère, offrait des garanties plus solides au plan de la sécurité et du développement économique que le maintien sous tutelle d’une Allemagne frustrée et démilitarisée. Aussi déplore-t-il l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) et les lenteurs de l’intégration européenne, mais il ne nie pas pour autant la contribution que le général de Gaulle et les gouvernements de la Ve République, qui se réclamaient d’une autre philosophie, ont apportée à la solution des problèmes politiques, économiques et militaires auxquels l’Europe a été confrontée au cours des dernières décennies. Ce qui lui importe en définitive, c’est de maintenir ouverte la question de l’unité allemande et d’inciter le gouvernement français à agir pour qu’elle soit tranchée dans un sens favorable aux aspirations nationales de ses concitoyens et dans le cadre d’une Europe unie qui entretiendrait avec l’URSS des relations caractérisées par la « détente et la coopération ».
Passant en revue l’histoire des relations franco-allemandes depuis 1945, Ernst Weisenfeld distingue plusieurs phases dans l’approche française de la question allemande. Après la chute du IIIe Reich, il s’agissait de prendre des gages et d’assurer la sécurité de la France par l’abaissement, voire le démembrement de l’Allemagne. Cette politique, dont le bien-fondé était mis en question dès l’origine par des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, était vouée à l’échec dans le contexte de la guerre froide et, à partir de 1950, prévaut l’idée d’une Europe intégrée à laquelle l’Allemagne occidentale participerait à part entière. L’auteur fait observer fort justement que c’est la division de l’Allemagne qui facilita le ralliement à l’Europe et que tout le monde y trouva son compte, les Allemands de l’Ouest par la reconnaissance de l’égalité des droits et les Occidentaux par la contribution de la République fédérale d’Allemagne (RFA) à la défense commune.
Une nouvelle phase s’ouvre avec l’accession au pouvoir du général de Gaulle dont la politique européenne suscita des controverses passionnées, mais qui donna une impulsion décisive à la coopération franco-allemande et envisagea dès 1959 une politique de détente avec l’Est pour surmonter la division de l’Europe et permettre ainsi à tous les peuples d’affirmer leur identité. Ernst Weisenfeld rend hommage à l’action menée dans ce sens par le fondateur de la Ve République, mais il s’exprime d’une manière plus nuancée sur la politique conduite par MM. Pompidou et Giscard d’Estaing qui ne se seraient pas suffisamment affranchis des vieilles préventions anti-allemandes et se seraient inquiétés outre mesure des risques d’une dérive de la RFA vers l’Est. Bien que le président Mitterrand ait obéi au même réflexe pendant la « crise des euromissiles », il lui sait gré d’avoir ranimé la coopération franco-allemande en 1982 et d’avoir affirmé plus nettement que ses prédécesseurs les impératifs de la solidarité au sein de l’Alliance.
Ce résumé ne rend qu’imparfaitement compte du propos de l’auteur et il faut lire son livre pour saisir toutes les nuances de sa pensée. Au demeurant, la manière dont il aborde les problèmes de la coopération franco-allemande et les jugements qu’il porte sur certains acteurs mériteraient une discussion approfondie qui déborderait le cadre d’une note de lecture. Enfin, le lecteur reste parfois sur sa faim, car il ne perçoit pas toujours selon quelles voies on parviendra à concilier la reconstitution de l’unité allemande et l’intégration européenne à l’Ouest, ni comment sera résolu le problème de la sécurité européenne dans l’hypothèse où la mutation, qu’Ernst Weisenfeld appelle de ses vœux, se produirait. Il n’en reste pas moins que son livre tombe à point nommé et devrait retenir l’attention de tous ceux qui pensent que le problème allemand est le problème européen par excellence, et que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, consacré par l’Acte final d’Helsinki, offre également aux Allemands la possibilité d’agir sur leur avenir.