Les Allemands entre l’Est et l’Ouest
« National-neutralisme allemand et finlandisation de l’Europe », tel aurait pu être le titre du dernier livre de François-Georges Dreyfus. En tout cas l’ancien directeur du Centre d’études germaniques de Strasbourg qui anime aujourd’hui l’Institut des hautes études européennes a bien mis en valeur l’enjeu des dernières élections allemandes.
Après avoir rappelé à un public français mal informé l’histoire et les données du problème allemand, il analyse avec une objectivité et une lucidité qui méritent d’être soulignées les miracles allemands de l’Ouest et de l’Est en s’appliquant à marquer leurs limites.
Nous savons tous que l’essor de l’Allemagne fédérale a été remarquable ; par contre qui, en Europe occidentale, sait que le Produit national brut (PNB) par habitant de l’Allemagne de l’Est est presque équivalent à celui du Royaume-Uni (7 450 dollars par habitant en République démocratique d’Allemagne (RDA), 7 750 en Grande-Bretagne). La RDA a connu elle aussi son essor économique.
À l’Ouest, cet essor est compromis par l’apparition de ce que l’auteur appelle à juste titre « le mal allemand » : développement d’une société de consommation qui conduit à préférer les loisirs au travail, apparition d’une société égoïste et pessimiste qui refuse les enfants et l’effort, phénomènes accompagnés et développés par la profonde mutation de la pensée culturellement dominante du protestantisme.
Traumatisé par sa collaboration avec le nazisme, le protestantisme allemand refuse la société moderne et l’essor technologique. C’est lui qui favorise la montée d’un écologisme préférant les énergies thermiques polluantes à l’énergie d’origine nucléaire considérée comme diabolique et perverse. Au nom de l’internationalisme et d’une fausse vision de l’œcuménisme, il prône le pacifisme tout en demeurant profondément nationaliste ; ainsi il favorise la politique d’ouverture à l’Est. Nombre de ses théologiens et de ses fidèles préconisent la neutralisation de l’Allemagne et la dénucléarisation de l’Europe centrale, suivant en cela les propositions soviétiques.
Or, ce comportement de nombreux pasteurs des églises membres de l’Union des églises évangéliques (EKD) en Allemagne rejoint celui de certains milieux influents du Parti socialiste allemand (SPD), tels que Egon Bahr, collaborateur de Willy Brandt, le docteur Eppler, ancien ministre de la Coopération, et surtout M. Lafontaine, ministre président du Land de Sarre qui souhaite ouvertement le rapprochement avec l’Est et le retrait de la République fédérale d’Allemagne (RFA) du pacte de l’Atlantique Nord. Ces trois personnalités ne sont pas éloignées des positions du parti des verts, où le poids des néo-nazis, souligne François-Georges Dreyfus, est loin d’être négligeable.
Face à ces partis, la coalition entre le parti conservateur d’Allemagne (CDU), le parti conservateur bavarois (CSU) avec le parti libéral (FDP), actuellement au pouvoir défend avec ardeur les liens de la RFA avec l’Europe. Grâce à ses succès économiques, elle a gagné de justesse les élections du 25 janvier. L’auteur analyse avec perspicacité la situation délicate de la RFA ; il insiste en particulier sur les conséquences dramatiques du peu d’empressement des partenaires de la RFA – y compris la France – à s’engager dans une vraie politique européenne ; leurs tergiversations ont fortifié le sentiment national-neutraliste. Le développement de la littérature consacrée à la recherche de l’identité nationale depuis une dizaine d’années, dont l’auteur fait une analyse systématique, n’en est-il pas le témoignage ?
Concis et bien documenté, le livre de François-Georges Dreyfus permet de comprendre les conséquences des dernières élections fédérales. C’est, au-delà d’une analyse très originale de la situation allemande qu’observateurs et journalistes ont tendance à occulter, l’appel à une politique nouvelle de l’Occident à l’égard de la RFA qui, en particulier, doit prendre en compte les aspirations à la réunification d’une partie importante de l’opinion allemande.
François-Georges Dreyfus, qui apparaît comme l’un des meilleurs connaisseurs des Allemagne contemporaines, nous permet de comprendre le drame de ces Allemands placés au cœur de l’Europe, entre l’Est et l’Ouest.