Secret d’État - La France du secret, les secrets de la France
Parmi les nombreux ouvrages récents consacrés au monde de l’espionnage et des affaires secrètes, celui de Pierre Péan échappe à l’habituelle tradition de l’enquête journalistique à sensation et se présente comme une synthèse susceptible de retenir l’attention des spécialistes de la défense. Secret d’État surprendra peut-être en effet les lecteurs fidèles de Péan, que son activité de journaliste du Canard Enchaîné avait jusqu’ici poussé à écrire des enquêtes aussi virulentes que controversées. Mais sur le difficile sujet du secret, l’auteur d’Affaires africaines semble vouloir décrire plutôt que polémiquer, et montrer plutôt que démontrer.
La retenue de ton de cet ouvrage en fait donc un guide bien renseigné et assez objectif sur les arcanes et les mécanismes des secrets gouvernementaux dans la France d’aujourd’hui. Rompant très opportunément avec le secret qui jusqu’alors entourait le sujet même du secret de défense, Pierre Péan nous donne notamment le premier résumé public des principaux textes législatifs et réglementaires en la matière, à commencer par la trop méconnue instruction interministérielle 1300 qu’il qualifie justement de « bible » du secret. Et ce faisant, Péan rend un double service : à tous ceux qui dénoncent le manque de clarté des mécanismes gouvernementaux et aux services chargés de la protection du secret qui ressentent de plus en plus le besoin d’informer et de sensibiliser l’opinion. Involontairement, ce livre met en effet en lumière les dangers réels que représentent pour la collectivité nationale les différentes formes d’espionnage technologique ou militaire. Et – paradoxe pour un journaliste du Canard Enchaîné – le chapitre intitulé « le gardien des secrets de la France » ressemble presque à une apologie de la Direction de la surveillance territoriale (DST) et de sa mission de contre-espionnage, ce qui illustre bien la remontée de popularité que connaît ce service depuis quelques années.
Mais emporté par son souci descriptif et analytique, Pierre Péan a également voulu prétendre à l’exhaustivité, et c’est là semble-t-il la limite de l’exercice. Plutôt que d’approfondir quelques-uns des thèmes essentiels liés à la protection du secret de défense qu’il soulève, l’auteur veut nous entretenir aussi de la commission informatique et libertés, des moyens nucléaires français, des écoutes téléphoniques ou même de l’aménagement intérieur des bunkers de la force de frappe. Cette prétention encyclopédique nous vaut donc – outre de nombreuses erreurs de détail – la pure et simple paraphrase de documentation officielle ou la compilation maladroite d’articles ou de livres déjà connus du public averti. Cette faiblesse évidente du travail de Péan fera sans doute sourire de nombreux spécialistes, mais elle n’enlève pourtant rien à l’intérêt et à l’utilité de Secret d’État, qui, tout compte fait, est un livre aussi utile à la démocratie qu’à la défense.