Pacifique... Vous avez dit Pacifique
Jean-Claude Courdy, journaliste, rédacteur en chef de FR3, a séjourné à Tokyo de 1963 à 1970 ; ce qui lui a permis d’observer in situ, non seulement la formidable ascension japonaise, pour reprendre le titre du fameux ouvrage d’Hermann Kahn, mais aussi la naissance d’un concept nouveau, baptisé depuis peu de « bassin du Pacifique », dont les destinées prometteuses ont été souvent soulignées.
Empruntant maints concepts analytiques à l’école de la géopolitique dont il connaît bien les principaux auteurs, soucieux de décrire les évolutions régionales et locales de manière aussi concrète que possible, il décrit la scène « Pacifique » comme la résultante de multiples « typhons » que sont les actions des principales puissances régionales et mondiales. De cette confrontation d’intérêts, de puissance ou d’objectifs divers, n’émergent guère des eaux calmes. Le bassin Pacifique n’est ni une « mare nostrum » ni un lac de paix. Il est bien le théâtre de quelques-uns des plus formidables enjeux de cette fin du siècle. Pourrait-il en être autrement lorsque s’y trouvent conjugués « la force irrésistible de la masse du milliard de Chinois, le volume de matière grise le plus efficient du monde émis par le Japon, le réservoir quasi inépuisable de matières premières du continent australien, une immensité de terres vierges, exutoire potentiel de la faim, et, grâce à un océan fédérateur de tous ses rivages, porterait en germe un monde futur redécoupé et redistribué » (page 13) ? C’est sur un tel ton que Jean-Claude Courdy décrit l’émergence du Japon, les interrogations chinoises, les rivalités des grandes puissances, les facteurs de déstabilisation constitués par les problèmes de la Corée ou de la péninsule indochinoise ou des rébellions locales comme aux Philippines.
De cette description, l’Europe est cruellement absente, illustrant son impotence ou son incapacité à se constituer en une véritable entité au plan mondial. Le Pacifique reste donc l’enjeu de la rivalité Est-Ouest. Cette bipolarité est d’ailleurs, estime l’auteur, dans l’ordre naturel des choses. La philosophie chinoise l’a mise en évidence avec les principes du Yin et du Yang, forces d’intériorisation et de dynamisme. Pourtant, estime-t-il très justement, un ordre stratégique ne se définit ni en termes de concurrence ou de coopération, ni en une division en deux zones, ni en un affrontement Est-Ouest, ni en un partage de civilisations orientale et occidentale ; il ne se conçoit pas, non plus, comme un syncrétisme qui s’opposerait à un autre syncrétisme. Mais l’Asie-Pacifique saura-t-elle faire prévaloir la conjonction harmonieuse de l’énergie spirituelle et de l’énergie physique, à laquelle l’incitent son histoire et ses aspirations profondes ?