L’effort économique de défense : exemples de la France et du Royaume-Uni
Le Centre d’études de défense et sécurité internationale (CEDSI) de Grenoble publie en supplément à l’annuaire ARES une savante étude comparative des dépenses militaires de France et du Royaume-Uni. Résultat d’une recherche de deux ans, conduite avec le Birkbeck College de l’Université de Londres, cette analyse souligne tout d’abord les difficultés des comparaisons internationales, dues aux disparités des taux de change, des structures budgétaires et des institutions militaires, mais aussi à la manie du secret (1), qui sévit en particulier dans les services financiers de la Défense française (le rédacteur en a été le témoin malheureux).
Jacques Fontanel et Ron Smith, qui dirigent cette publication, proposent que l’on adopte la méthode de Parité des pouvoirs d’achat (PPA), recommandée par les experts de l’ONU. En ce qui concerne les deux États considérés, ils notent que les principales difficultés de la comparaison sont liées à l’inclusion de la gendarmerie dans le budget français, et à l’évaluation du coût réel de la conscription, véritable impôt en nature, préjudiciable au rendement économique si l’on est en période de croissance. Mais budgétairement, la conscription constitue une économie pour l’État ; la dépense salariale britannique est en effet supérieure de 60 % à la dépense salariale française (pour des effectifs inférieurs de 175 (KM), gendarmerie exclue). Les militaires britanniques sont ainsi payés 8 à 10 % au-dessus du marché de l’emploi en Grande-Bretagne. Autre dépense supplémentaire, l’armée de métier a besoin de 200 000 employés civils, alors que l’armée de conscription n’en emploie que 80 000.
L’analyse comparative globale met en évidence, pour des dépenses militaires sensiblement équivalentes en termes réels, une ponction sur le PIB supérieure de 1 % du côté britannique. Cette différence est attribuée à une croissance économique plus faible (environ 2 % de 1955 à 1975), et à une productivité industrielle inférieure de 50 % à la productivité française. Il en résulte une meilleure compétitivité de la DGA (Délégation générale de l’Armement) sur les marchés d’armement, avec un effectif moindre d’emplois induits par la défense : la défense britannique emploie 1,27 million de personnes, contre 1,15 M en France. Ces personnels sont répartis à raison de 41 % dans la région de Londres, et 21 % en région parisienne, la France utilisant ses dépensés militaires comme instrument secondaire de sa politique d’aménagement du territoire (44 % des emplois sont localisés dans l’Ouest et le Sud de la France, loin des champs de bataille historiques).
La répartition fonctionnelle des crédits fait apparaître que l’effort nucléaire français est beaucoup plus important que l’effort britannique, et qu’en contrepartie, « les sommes engagées sur l’équipement conventionnel sont deux ou trois fois inférieures à celles de Grande-Bretagne… Le commandement de l’Armée de terre française a de bonnes raisons d’affirmer que cette dernière est relativement privée d’armement comparée à ses alliés ; mais il faut se souvenir en même temps que les forces aériennes françaises sont équipées d’appareils les plus avancés technologiquement » (p. 98). En raison de la grande inertie des dépenses de personnels, dans les deux pays on a tendance à économiser sur les équipements et à retarder les programmes. Face aux coûts croissants des armements et aux progrès des défenses anti-balistiques missiles ABM soviétiques, les auteurs expriment leurs préoccupations quant à la modernisation des matériels et au maintien à niveau des forces stratégiques. Ils ne voient de solution que dans une collaboration franco-britannique plus étroite, dans un cadre européen.
Les lecteurs spécialisés pourront découvrir dans ce livre de nombreux autres aperçus intéressants, sur les industries d’armement, sur l’application des modèles mathématiques aux dépenses militaires, et sur l’impact de celles-ci sur la croissance économique, négatif à moyen terme selon les auteurs. Nous ne contesterons pas la justesse de ce calcul économique : dépenses réputées improductives, les budgets militaires produisent cependant des valeurs de sécurité et des atouts politiques dont le coût n’est pas mesurable.
(1) Cela n’excuse pas le recours à des statistiques erronées, comme celles des pages 66 et 92.