Iran, la révolution islamique
Chapour Haghighat, intellectuel iranien initialement favorable à la révolution, nous raconte ses désenchantements. Dans une fort intéressante étude sur l’évolution du pouvoir islamique, il apporte de précieux éclaircissements sur l’habileté manœuvrière du clergé chiite et les raisons de son surprenant triomphe. Rien ne prédisposait les 150 000 à 200 000 mollahs iraniens à prendre en mains les affaires du pays. Mais l’islam est en Iran la culture des pauvres et l’influence du clergé, seul à pouvoir soulever les masses, s’est révélée prépondérante dans l’insurrection.
Qu’elle soit libérale ou de gauche, l’opposition à l’ancien régime, contrainte à laisser faire, pensait récupérer ensuite le mouvement. Las ! Les Mollahs ont été aussi habiles dans la lutte partisane que dans l’agitation urbaine. Successivement, les libéraux, en dépit des efforts du président Béni Sadr en 1980, les fedayin marxistes et les moudjahedin, objet d’une répression féroce après les attentats de juin 1981, le parti toudeh en 1983, seront éliminés. Ainsi s’est établie « la république du clergé », s’appuyant sur les bazaris et les « déshérités », et encadrant efficacement la société par un appareil de surveillance et de coercition. La réaction religieuse va dès lors son train favorisé par la guerre. Les travailleurs, non protégés, les femmes, rabaissées, en sont les plus évidentes victimes.
L’auteur montre qu’en dépit des proclamations outrancières, les ponts n’ont jamais été rompus avec l’Occident : nouvelle preuve de l’inanité des sanctions économiques. Le doublement de la production pétrolière à la fin de 1982 fait de l’Iran un marché lucratif. Les 7 grandes puissances industrialisées, réunies au Sommet de Williamsburg (mai 1983), en prennent acte et accueillent favorablement les avances de cet étrange partenaire. On aurait cependant tort de voir ce retour de l’Iran à un semblant de respectabilité comme un gage d’avenir stable. L’intransigeance de l’Imam, qui l’a servi dans sa lutte contre le Chah, pourrait le desservir face à l’Irak. La lassitude de la guerre croît et l’après-Khomeyni n’est rien moins qu’assuré.
Le livre se termine sur une postface de Paul Balta, témoin privilégié de la révolution. Il était le 1er février 1979 dans l’avion qui ramenait Khomeyni à Téhéran. Lui demandant ce qu’il ressentait au moment de retrouver sa terre natale après l’exil, il reçut cette brève et inquiétante réponse : rien !