Le Vietnam
Comme l’Algérie, bien qu’à un moindre titre – distance et particularités obligent –, le seul nom du Vietnam suscite chez les consciences françaises quelques remous. Le film d’Henri de Turenne sur Antenne 2, en janvier-février 1984 l’a révélé une fois de plus ; 1984, c’est une année anniversaire pour le Vietnam et la France : centenaire du Traité de juin 1884 qui donnait à la France entière autorité sur le pays et 30e anniversaire des Accords de Genève (juillet 1954) mettant fin à la guerre « française ».
Pierre Richard Feray nous présente donc le tableau du Vietnam et de la « vietnamité ». C’est tout d’abord une véritable mosaïque de nationalités. On y retrouve chacune des 5 grandes familles linguistiques de l’Asie du Sud-Est (austro-asiatique, malayo-polynésienne, sino-tibétaine, kadaï et miao-yao méo-zao). C’est au terme d’une longue histoire que se sont constitués les déterminants de la vietnamité. La « dongsonisation » a donné naissance à une Nation peuple, la « sinisation » a doté le pays d’une structure étatique, les grandes dynasties ont forgé une Nation État. La période coloniale a opéré une série de ruptures, économique, sociale, idéologique. Mais pour l’auteur, l’essentiel a été d’ordre historique et culturel, à savoir le décrochage irréversible du Vietnam de la Chine et son insertion définitive dans le Sud-Est asiatique. Que ce renouveau du sentiment national ait été opéré par la voie communiste provient de la volonté d’une poignée d’hommes et de circonstances favorables.
L’histoire des guerres d’Indochine est brossée à grands traits. Leur enseignement a été marquant. Grand événement du XXe siècle, le Vietnam est bien devenu un référentiel de la politique mondiale : décolonisation en France, révolte de la jeunesse en Occident, émergence du Tiers-Monde, recul de l’influence américaine, poussée soviétique dans le monde.
La République socialiste du Vietnam, enfin, fait l’objet d’une analyse sérieuse et attentive, lourd héritage de la guerre, période de transition (1975-1977), les années noires de la crise économique (1978-1980).
Mais est-il légitime de ramener le tragique épisode des boat people et la campagne des droits de l’homme à une campagne de dénigrement et de démythification du Vietnam en Occident et en Chine ? Si les conditions dans lesquelles le Vietnam a dû émerger de la guerre ont été délicates, le poids de l’appareil et les positions des dirigeants ont joué leur rôle. En essayant de redresser la vision des choses, en plaidant pour des rapports franco-vietnamiens plus approfondis, Pierre-Richard Feray se pose en défenseur de la « voie vietnamienne ». Les années diront s’il ne s’agit là que d’une excroissance des années de guerre. Le Vietnam ne pourra rester longtemps isolé des évolutions asiatiques.