Le mercenaire
Le Sahara apprivoisé par nos anciens se prêtait au roman. Les officiers français s’étaient intégrés au paysage, allant jusqu’à l’enrichir de quelques créations vestimentaires, architecturales, ou sentimentales et y inscrivant une page d’histoire rien moins que vulgaire. Des doctrinaires ennuyeux y remplacent nos camarades disparus et entraînent les mêmes Réguibat dans des combats différents : le désert d’aujourd’hui n’offre plus au romancier les charmantes facilités de jadis. Gilbert Toulouse, après Lartéguy (Le commandant du Nord, cf. revue Défense Nationale, novembre 1982) dans un tout autre genre mais avec un égal insuccès, y a pourtant placé son Mercenaire, dans les rangs du Front Polisario.
Un jeune journaliste revient à Marrakech, en quête de souvenirs d’enfance et de jeunesse : bassins, jets d’eau et bougainvillées, servante berbère, princesse de rêve, et drame (son frère, officier des Zahi, a été tué dans d’affreuses circonstances). Capturé par une unité du Polisario opérant dans la Vallée du Draa, notre journaliste est entraîné à combattre avec eux, pour l’amour – ou l’amitié – d’un aventurier sud-américain, chef de bande qu’après sa mort il remplacera.
L’auteur ne nous accroche à ses rêveries qu’en de rares passages, descriptions des paysages, grandioses ou rafraîchissants, du Bani et de l’Ouarkziz, brefs portraits des bêtes et des gens. Les chameaux, « débarrassés de leur selle, frémissent de plaisir pour chasser l’ankylose de leur peau » et, barraqués, « se balancent de gauche à droite pour se creuser un lit dans le gravier ». Des joueurs de dames fument, « une main à la cigarette collée en bouche, l’autre pendante au bout du bras tendu, reposant sur le genou replié à angle aigu par leur accroupissement ». L’Oued Draa déroule sa vallée, « interminable lit du temps, bordé d’une si prodigieuse enfilade de palais ébauchés ».
Mais ces quelques bons moments sont noyés dans un pathos lyrique où les mythes sahariens les plus vides se mêlent aux évocations fallacieuses des mercenaires d’Europe centrale, aux fantasmes phalliques de l’auteur et aux cruautés de bas-ventre généralement associées, en pays arabe, aux guerres coloniales. Les combattants du Front Polisario ne sont point vraisemblables : gens grossiers, incapables de se conduire sans l’aide de leurs « conseillers », ils sont fort éloignés des Reguibat qu’on s’attendait à trouver et au demeurant plus proches des Chleuh que des Maures. Gilbert Toulouse aime les paysages du sud marocain. Je ne pense pas qu’il aime les Arabes. Ceux qu’il met en scène ne prient jamais. ♦