Le piège de Beyrouth
Les journalistes sont des témoins. La rapidité de transmission de l’information et la multiplicité de ses canaux – journaux, radio et surtout télévision – font qu’aujourd’hui le public peut suivre les événements du monde entier, à l’instant même où ils se déroulent. Quand il s’y ajoute un tour dramatique, voire tragique, l’attention saisie par l’image et le bruit croît, le commentaire abonde et l’opinion se forme. Pris dans l’événement et par l’événement le journaliste mesure alors davantage la portée que peut avoir son témoignage. Celui-ci peut devenir une dénonciation.
Durant toute cette longue guerre qui, depuis sept ans déjà, déchire le Liban, la presse n’a cessé de témoigner, apportant les images du drame quotidien vécu par les populations. On s’y était habitué et l’indifférence s’était progressivement installée dans les esprits et parfois même malheureusement dans les cœurs. Et puis voilà que, pour la première fois depuis bien longtemps, les correspondants internationaux accourus au Liban ou demeurés sur place pour y suivre les développements de l’invasion israélienne du 6 juin 1982, se sont trouvés eux aussi pris au piège : au piège de Beyrouth, capitale arabe assiégée. Ils y ont fait la découverte d’un moyen de guerre que l’on croyait révolu car d’un autre âge : le siège. Ils ont, au péril de leur vie, noté, photographié, filmé. Et ces mots, ces images ont pu franchir, chaque jour, les obstacles de toute sorte pour nous parvenir et nous frapper de plein fouet. En nous secouant, ils ont du même coup réveillé les passions. La presse se trouva fustigée : son témoignage était devenu accusation. Mais ce témoignage a, très certainement, aussi contribué à la cessation des hostilités.
Alain de Chalvron est de ces journalistes qui ont été « pris au piège de Beyrouth ». Il en a rapporté, chaque jour, pour les auditeurs de Radio France notamment, toutes les péripéties. Puis il a cherché à comprendre les raisons de cette guerre de l’été 1982 aux enjeux multiples, d’où ce livre dont le discours, simple, veut être la démonstration d’un processus que l’auteur fait remonter au 2 avril 1981 : le bombardement syrien d’Achrafieh, prélude à la bataille de Zahlé. Les faits s’enchaînent, éclairés par des anecdotes, des réflexions, des observations, des rumeurs, des hypothèses, etc., enfin tout ce qu’un journaliste de talent et de courage, comme l’est Alain de Chalvron, peut glaner ici et là.
Sans doute, certains pourront faire reproche à l’auteur de prendre parti dans la mesure où, effectivement, il cherche à mettre en évidence la duplicité du jeu israélien, en en démontrant l’impitoyable mécanisme. Mais Alain de Chalvron est tout aussi perspicace pour dénouer quelques-unes des intrigues syriennes et des manœuvres palestiniennes de même qu’il rapporte les difficultés de la médiation américaine et de celle, aussi, française.
« Le piège de Beyrouth » n’est pas simplement une relation de faits passés et qui seront trop vite oubliés. Il éclaire en partie cet imbroglio libanais dont on ne sait pas encore ce qu’il en sortira demain : la paix ou de nouveau la guerre ? Un témoignage vécu d’un véritable « correspondant de guerre ». ♦
30 octobre 1982