Les problèmes de l’Armée de terre française – 1935-1939
Pour qui connaît l’emprise tyrannique des questions de défense sur la vie du pays, rien n’est plus utile que de méditer sur la manière dont se sont présentés les problèmes militaires dans les veillées d’armes précédant les conflits où ont été mises à jour l’intégrité, l’indépendance ou l’existence de la nation : 1788-1792, 1866-1870, 1910-1914, 1935-1939.
Pour cette dernière avant-guerre, la plus proche bien qu’elle soit déjà à près d’un demi-siècle de nous, le présent ouvrage sera un guide sûr et précieux, car il a l’heureuse particularité, notée par le professeur Pedroncini dans sa préface, de conjuguer la recherche historique scientifique avec le savoir technique. On ne pouvait en attendre mieux d’un auteur qui est à la fois officier confirmé et docteur de l’université et qui exploite le fonds considérable des archives conservées par le Service historique de l’Armée de terre (SHAT).
Consacré, comme l’indique le titre et comme cela était la mission de l’auteur, aux seuls problèmes de cette armée, un ouvrage de ce genre ne doit retenir des données stratégiques, diplomatiques, financières, industrielles et morales, ou plus simplement politiques, que ce qui est indispensable à la compréhension des aspects strictement militaires. De même, des principaux acteurs, il ne saurait donner qu’un aperçu sans prétendre sonder les reins et les cœurs. Mais si prépondérante à cette époque était la place attribuée à l’Armée de terre dans la défense que ses problèmes propres se confondaient bien souvent avec les plus généraux et que ses chefs, dans leurs études et leurs avis, débordaient fréquemment le cadre des moyens qu’ils avaient à commander, faute qu’il y eût alors dans le pays un organisme suffisamment étoffé pour concevoir et conduire une stratégie globale, au plus haut échelon et dans tous les domaines. C’est ainsi par exemple que telle note citée par l’auteur et émanant des bureaux de l’état-major de l’Armée de terre traite de la géopolitique du bassin méditerranéen et telle autre de l’opportunité des sanctions économiques ; si ces fiches n’avaient d’autre but que l’information du commandant en chef désigné, elles sont excellentes ; si elles devaient servir à la préparation de décisions gouvernementales, elles outrepassent la compétence d’un état-major purement militaire. On aurait, par contre, attendu de lui qu’il dégageât une conception nette et vigoureuse du problème essentiel du haut commandement : la réalisation d’un système de forces armées nécessaires à l’appui de notre politique, de l’armement correspondant et des plans d’opérations en résultant. Dans le contexte matériel et moral de l’époque, il était certainement très difficile au commandant en chef désigné de tenir convenablement son rôle de conseiller militaire du gouvernement. Au sein même des forces armées et dans l’Armée de terre dont il était responsable, peut-être avait-il d’égales difficultés à remplir l’autre terme de sa mission : tenir la barre du commandement.
L’auteur dénonce la « faiblesse de l’autorité » d’un chef dont « la pensée, parfois large et imaginative » débouche sur « une action étriquée et trop souvent conservatrice ». Les exemples donnés ravivent nos souvenirs personnels d’unités aux effectifs « squelettiques », pourvus d’armes « surannées » (Mousqueton 1892 !) ou disparates (11 modèles d’engins blindés en service dans la cavalerie !), instruites en vertu d’une « doctrine confuse » en vue de « manœuvres processionnelles » : c’était tout le contraire d’une Armée de terre capable de remplir sa mission. Et les directives que lui donne son commandement pour mener une « bataille défensive initiale » sont un modèle de la rhétorique la plus dangereuse, qui prend ses désirs pour des réalités ; on ne peut les lire, dans cet excellent ouvrage proposé à notre étude et notre réflexion, sans se sentir pris de vertige. ♦