Le commandant du Nord
Voici un roman – voici du roman – qui énervera nombre de lecteurs : les vieux Sahariens, choqués de se voir magnifiés jusqu’à la caricature ; les militants des libérations tiers-mondistes, dont on étale les hypocrisies et les courtes-vues ; les nostalgiques des Centurions, Mercenaires et autres Prétoriens, surpris par ce dernier livre de leur auteur.
La plume à la main et toutes sympathies affichées, Jean Larteguy a mis, de longue date, ses pataugas dans les traces des guerriers de l’après-1945. Son œuvre abondante célèbre, plus que leurs exploits, l’authentique vertu des soldats de métier et le charme enfantin de leurs engagements instinctifs et discrets. Mais la croûte de paix qui maintenant recouvre le monde oblige le conteur à suivre ses héros dans des aventures de moins en moins classiques et à se reconvertir avec eux dans le mercenariat, celui-là véritable. Cette fidélité n’est pas sans risque et la fiction que voici, brossée au Sahara occidental sur fond de Polisario, nous met parfois mal à l’aise. Après tout, c’est peut-être le lecteur qui a vieilli trop attaché à ses souvenirs d’Indochine ou d’Algérie.
L’ouvrage met en scène, dans un désert fort peu camouflé, un curieux ballet d’hommes d’affaires véreux, de méharistes en retraite rajeunis le temps d’un coup à monter, « d’affreux » de tous bords, techniciens du terrorisme et du commando modernisé, de militaires et de politiques des jeunes nations sahéliennes. La rituelle mise en garde liminaire nous incite aux assimilations « abusives » : c’est le conflit actuel du Sahara occidental qu’on veut nous mettre en tête, élargi pour les besoins de la cause et légèrement brouillé. Le ksar mythique de Samintha, c’est Smara déplacé dans le Djouf ; le cheikh qui y sévit est baptisé Maïnin, déformation limpide et regrettable du beau nom de Ma El Aïnin.
On pourra déplorer l’extrême schématisation des situations et des caractères. Le folklore saharien, pourtant puisé aux meilleures sources (l’auteur n’en est pas à son premier ouvrage sur le Sahara), n’est pas toujours sollicité à bon escient. La crudité des propos, adaptée aux ébats du corps expéditionnaire d’Extrême-Orient, n’éveille au désert aucun écho, non plus que les coucheries superfétatoires et rien moins qu’arabes dont le récit est pimenté. Pourtant, à travers ces imperfections, Jean Larteguy nous propose une vision originale et très lucide des fonds vaseux du « problème » saharien. On nous rebat les oreilles du prestige des grands nomades et de leur nouveau combat : le nomadisme se meurt. Des leaders égoïstes prétendent libérer leurs peuples : ils ne souhaitent que « laisser à tout prix, de (leur) passage, une marque dérisoire et sanglante ». La destruction des sociétés traditionnelles est inéluctable : ces mêmes leaders s’en réjouissent et s’acharnent à précipiter le cours d’une histoire que de vieux rêveurs français avaient, quelque temps, ralentie. « Si une mission nous a été donnée, dit au jeune politicien maure l’ancien des groupes nomades, ce fut d’empêcher des peuples comme le vôtre de devenir des masses grises qui, dans des villes grises, défilent au pas de l’oie devant des vieillards moroses qui rêvent tristement de l’empire du monde ». ♦