British Military Policy Between the Two Worlds Wars
Ce livre n’est pas le premier que publie le docteur Brian Bond, « reader » d’études militaires au King’s Collège de l’Université de Londres. En 1977, il a fait paraître une fort intéressante étude sur Liddell Hart (NDLR : Historien militaire anglais) qu’il a personnellement connu à la fin de la vie de cette brillante personnalité et dont il a exploité les archives personnelles.
L’ouvrage du docteur Bond vient à point pour compléter le tableau dont le capitaine de vaisseau Roskill a tracé la partie maritime (Naval Policy Between the Wars, deux volumes publiés en 1968 et 1976) et Harford Montgomery Hyde la partie aérienne (British Air Policy Between the Wars, 1918-1919, publié en 1976). Il s’agit cette fois de la « Cendrillon des forces années britanniques » d’entre les deux guerres, cette « Army », suivant la terminologie britannique plus logique que la nôtre, où la composante aérienne s’appelle « Air Force ».
En 1918, nous rappelle Brian Bond, cette Armée avait près de deux millions d’hommes sur le front de France. Entre le 8 août, jour de deuil de l’Armée allemande suivant Ludendorff, et le 11 novembre, elle remporte neuf victoires importantes et capture presque autant de prisonniers, de canons, que les Armées françaises, américaines et belges réunies. Entre 1920 et 1933, on va pourtant la voir se dégrader au point où elle ne pourra même plus fournir un corps expéditionnaire contre une puissance militaire de second ordre hors d’Europe. Les leçons de la guerre ne sont même pas étudiées systématiquement. Les généraux, d’abord portés aux nues, sont vilipendés même par des militaires comme Liddell Hart, le métier des armes est méprisé et décrié. Un budget de misère, grâce à la fameuse règle des dix ans, se trouve en compétition avec celui de la Marine royale qui a gardé une bonne partie de son prestige, et celui d’un nouveau venu, la toute jeune RAF (Royal Air Force) qui doit se faire sa place au soleil, elle dont la naissance est due à la peur causée au peuple britannique par les bombardements aériens allemands de 1917.
Le docteur Bond nous décrit cette pauvre petite Armée qui essaie de survivre dans ce contexte difficile, aggravé par la crise économique de 1930 et par les négociations sur le désarmement de 1932 ; elle doit veiller à la défense de l’Empire, et en particulier des Indes, en reprenant le vieux système de Cardwell (1), le jumelage des bataillons (un outre-mer, un en métropole), tout en cherchant à se moderniser sous l’impulsion d’hommes comme « Boney » Fuller (2). Ce dernier, appuyé par Liddell Hart, préconise l’emploi des chars. Il se heurte au double obstacle du conservatisme des esprits et du manque de crédits. Le pouvoir politique est incapable de définir une politique militaire, pris dans des difficultés qu’il ne veut pas soulever, par exemple la répulsion instinctive de la grande majorité des Britanniques devant un engagement militaire sur le continent, l’incompatibilité entre la mise sur pied de forces destinées au service outre-mer et ce qu’il faudrait préparer pour des opérations sur le théâtre européen. Seuls quelques hommes lucides comme le général Sir Henry Pownall, savent très bien que la Grande-Bretagne ne pourra se contenter d’un effort limité dans le cas où la France serait attaquée par l’Allemagne. D’autres hommes portent une lourde responsabilité, financière pour Churchill, politique pour Neville Chamberlain dont l’action extérieure est totalement incohérente avec sa politique militaire. En 1939, il ne tiendra aucun compte de l’avis de ses conseillers militaires, avis qu’il ne communiquera même pas au cabinet.
Le retour au réel, nous explique Brian Bond, se fera dans les mois qui suivent Munich. Hore Belisha (3) jouera alors un rôle majeur dont il sera bien mal récompensé. Ce n’est qu’en fin mars 1939 que des conversations sérieuses seront engagées avec l’État-major français. Il faudra l’invasion de la Tchécoslovaquie pour que l’on formule une politique de conduite de la guerre qui soit commune aux deux pays. Les discussions avec les Polonais ne débouchent sur rien car personne ne voit ce qu’on pourrait faire pour les aider. La conscription est décidée en avril 1939, comme geste politique, car l’Armée ne sait pas très bien comment faire face à ce flot d’effectifs. Les problèmes de commandement et de coopération avec la RAF sont mal résolus. En septembre 1939, la mise en place en France des quatre divisions d’active du BEF (British Expeditionary Force) se fait cependant facilement.
C’est ainsi qu’ont été préparés une série de défaites et de fiascos, de la Norvège à la Birmanie. Le docteur Bond se demande ce qui se serait passé si, dès 1934, la Grande-Bretagne avait décidé de s’engager fermement sur la voie de la participation à une guerre sur le continent que lui proposait alors le premier Defence Requirements Committee (DRC). Dans ce tableau, les militaires britanniques sortent sous un jour nettement plus favorable que dans les mémoires de Liddell Hart, qui s’est laissé emporter par ses amitiés et surtout ses inimitiés, voire la défense de sa propre action. Il y manque certainement une étude sociologique de cette Armée de l’entre-deux-guerres. De l’ensemble du livre, il y a pourtant beaucoup à tirer, en particulier sur les relations entre militaires et politiques, pour ne pas retomber dans les mêmes ornières, et surtout échapper à la tentation, faible actuellement il est vrai, de voir la politique militaire séparée de la politique extérieure des nations occidentales. ♦
(1) NDLR : Edward Cardwell fut secrétaire d’État à la guerre entre 1868 et 1874. Il entreprit une série de réformes au sein de l’Armée britannique.
(2) NDLR : De son vrai nom John Frederick Charles Fuller, surnommé « Boney » Fuller, fut l’un des théoriciens pionniers de l’utilisation stratégique des chars de combat.
(3) NDLR : Leslie Hore-Belisha fut secrétaire d’État à la guerre entre 1937 et 1940, sous le gouvernement de Neville Chamberlain. Contre l’avis de son premier ministre, il parvient à mettre en place les réformes préparant le Royaume-Uni à la guerre contre l’Allemagne nazie. Il fait les frais des pressions antisémites et quitte définitivement le gouvernement à la fin de l’année 1940.