Une politique de défense pour la France
Pour tous ceux qui suivent les questions de défense, c’est un événement marquant que la parution du petit livre où le général Valentin donne ses réflexions sur la défense de la France. Je ne pense pas qu’il y ait un secteur de celle-ci qui ne lui soit familier en raison de la variété des emplois importants où il a eu à résoudre, et non pas seulement à étudier, des problèmes concernant les armes de la Nation, leur réalisation, leur mise en œuvre et leur emploi, dans les circonstances et avec les environnements les plus divers, en tenant compte des différents facteurs politiques, diplomatiques, scientifiques, économiques, technologiques, sociologiques et psychologiques.
Ce n’est pas de ma part obéir à un sentiment d’amitié personnelle mais redire une constatation faite par tous ses camarades et collaborateurs que de rappeler l’alliance heureuse de cette expérience très large des hommes et des choses avec une netteté, une lucidité et une hauteur de vues particulièrement frappantes. C’est tout cela qu’on a la grande satisfaction de retrouver dans le présent ouvrage.
Dans un domaine trop souvent perturbé par des « professions de foi sommaires » et par des « affirmations exagérées ou arbitraires », on voit l’auteur examiner objectivement les données des problèmes et ce qu’en pensent d’autres que lui, avant d’arriver, par le raisonnement et le recours au bon sens, à des résultats dont il sait poser les limites de validité et d’où il tire la solidité de ses convictions. Dans ce processus, il atteint le degré de simplicité de la pensée et de l’expression qui est le propre de tout maître de son art mais qui déroute ceux qui prennent plaisir à obscurcir les problèmes par une débauche de spéculations et de verbalisme.
C’est dans cet esprit que le général Valentin donne son avis sur les questions qui sont à l’ordre du jour : missiles intercontinentaux et armes de théâtre américains et soviétiques, leur précision, leur vulnérabilité, leur déploiement, leurs effets anti-forces et anti-cités, missile de croisière, lanceur terrestre mobile, sixième sous-marin, bombe à neutrons, service militaire, structure de l’Armée de terre, etc. Toute personne ayant sur ces questions une curiosité et, plus encore, une responsabilité, aura intérêt à consulter ce qu’en dit le général Valentin avec simplicité et compétence avant d’arrêter son opinion personnelle : celle-ci pourra être différente de celle de l’auteur, mais elle gagnera sûrement à y être confrontée.
Sur les questions d’hier, ai-je besoin de dire que mes souvenirs personnels rejoignent exactement ceux du général Valentin quant au remodelage et à l’orientation donnés aux forces françaises sortant des opérations d’outre-mer, recevant l’armement nucléaire, quittant l’Otan et traversant la crise de 1968 ? Corroborant point pour point son témoignage, je voudrais rappeler, parce qu’elles sont souvent mal connues, les idées du général de Gaulle sur le rôle dans la politique militaire française des forces de manœuvre : il les voulait de volume limité mais aptes à opérer en avant de nos frontières massivement et offensivement, sous commandement français en disposant de tous les appuis de feux terrestres et aériens, classiques et atomiques, en vue de conjuguer cette action avec celles de nos alliés et des autres catégories de forces nationales : j’ai eu l’honneur d’exposer en 1967, en accord avec le général Ailleret, une conception de ce genre au chef de l’État et j’ai reçu directement de lui ses instructions personnelles sur cette matière en 1968 quand il me fit savoir sa décision de regrouper les forces de manœuvres sous un seul commandement à mes ordres : rien n’aurait été plus étranger à la manière du général de Gaulle que de ne garder pour la défense de la France qu’une seule possibilité, celle d’un jeu pur et simple de tout ou rien livré en limite du sanctuaire national sans rien qui vienne en confirmer l’opportunité et en accroître la crédibilité pour en augmenter l’effet dissuasif. Comme le montre lumineusement le général Valentin, un appareil militaire bien adapté aux besoins et aux conditions morales et matérielles du moment doit donner au chef de l’État une gamme de moyens, complémentaires les uns des autres, pour frapper, manœuvrer, intervenir et assurer la sûreté en face d’une réalité complexe et toujours imprévisible. ♦