Le procès de Riom
Mis à part les mémoires qui abondent sur cette époque, nous ne possédions sur ce sujet que les études de M. Ribel et Henri Noguères, toutes deux publiées en 1945. Cet ouvrage bénéficie du recul du temps mais sa particularité est de considérer le procès de Riom comme la pierre de touche du régime de Vichy : ne s’agissait-il pas de faire le procès de 20 années d’erreur et d’impéritie, de punir les responsables du désastre de 1940 ? N’était-ce pas là sous couvert d’une œuvre de salubrité publique le témoignage d’une fureur d’examen de conscience propre aux dirigeants de l’époque ? C’est dans cette perspective que l’auteur place délibérément son étude.
On ne s’étonnera donc pas si elle déborde très largement du cadre juridique du procès lui-même, si elle s’attache à faire le bilan de l’impréparation à la guerre et même si Henri Michel traite dans le détail d’une question qui d’emblée échappait à la Cour de Riom : la conduite de la guerre. Des dossiers qui permettent de mieux apprécier les contradictions de la société française du moment mais qui mettent en évidence l’inconséquence du procès.
La « Révolution nationale » entendait bien démontrer la malfaisance du régime qui avait conduit le pays à la défaite : encore ne fallait-il point mettre en cause ni l’armée ni les dirigeants de Vichy, à commencer par le Maréchal dont il était bien difficile d’oublier qu’il avait été ministre de la Défense nationale et membre du Conseil supérieur de la guerre. C’est pourquoi on choisit de faire partir l’instruction du procès à la date du mois de mars 1936. Ni Pétain ni Weygand n’exerçaient plus de responsabilités majeures et cela autorisait l’inculpation de Léon Blum qui, pour sa part, n’était pour rien dans le déclenchement des hostilités. En tranchant arbitrairement de la sorte, on localisait le mal : le Front populaire. En 1870 on avait jugé Bazaine et nullement Émile Olivier ou le duc de Gramont ; à Riom, c’est l’inverse qui était visé puisque le commandement militaire était épargné, exception faite du général Gamelin, tandis que les responsables politiques avaient à rendre des comptes. Sur les arguties juridiques utilisées pour atteindre cet objectif, sur les intentions avouées ou non des autorités de Vichy, l’analyse d’Henri Michel est mené avec minutie, finesse et s’appuie sur des documents probants. C’est probablement la partie la plus vigoureuse du livre. L’auteur met bien lumière à cette occasion tout ce qu’avait d’équivoque ce procès dont les débats se déroulèrent toutefois avec une totale liberté d’expression. Ambiguïté des critères imposés à l’instruction mais aussi ambiguïté des prises de position des accusés : n’est-il pas étrange de la part d’un responsable politique d’entendre Léon Blum déclarer « il ne suffit pas de dire, vous avez trahi les devoirs de votre charge : il faut dire quels étaient ces devoirs » ? Ambiguïté, enfin, d’une procédure qui ne donnait pas satisfaction à l’Allemagne puisque nul n’était poursuivi comme responsable de la guerre, ce qui devait d’ailleurs entraîner la suspension du procès.
Quelles furent les répercussions de cet événement judiciaire dans l’opinion publique ? L’auteur consacre des pages à des citations (dont certaines nous semblent quelque peu infléchies par le contexte) et malgré cela, malgré les reproductions de dessins satiriques, il faut bien avouer qu’à ce sujet le lecteur reste sur sa faim, qu’il s’agisse des réactions en France ou à l’étranger. Cela n’ôte rien à la valeur essentielle de ce livre qui est de mettre parfaitement en relief les rouages d’une opération destinée à justifier la « Révolution nationale » et qui échoua comme l’on sait. ♦