Demain… l’armée soviétique
Comme il l’avait fait il y a quatre ans pour l’armée chinoise, M. Brulé a voulu s’appuyer d’abord sur les faits et sur les chiffres, mais s’en sans tenir à eux, car les problèmes qu’il aborde comportent des données politiques sans la considération desquelles toute étude reste très incomplète. Pourquoi l’Union soviétique a-t-elle construit une armée aussi puissante ? « Bien que l’Occident n’en ait retenu que l’art, la musique et la littérature, l’histoire de la Russie a toujours été dominée par son aspect militaire : l’armée des tsars fut, durant deux siècles, le fondement de l’ordre intérieur de la société russe.
C’est précisément parce que le communisme a vérifié d’ailleurs puisque, sans l’altitude ferme de l’armée qui s’opposa avec vigueur aux disciples de Lénine en 1905, la révolution bolchevique aurait eu lieu douze ans plus tôt que, fort de cet enseignement, le régime, la victoire acquise, accordera à l’armée la première place ». Mais cette armée vit au milieu de contradictions : dotée d’un matériel ultramoderne, elle est aux ordres de dirigeants qui constituent une véritable gérontocratie : elle se réclame de l’« internationalisme prolétarien » mais elle évoque à tout moment les grands noms de l’histoire tsariste dont elle se veut l’héritière directe ; préparée à un conflit décisif par ses dimensions techniques et géographiques, elle n’en abandonne pas pour autant l’armement non nucléaire dans la perspective d’opérations offensives en Europe.
M. Brulé a voulu présenter cette armée en s’attachant successivement au « matériel humain », au corps de bataille aéroterrestre, à l’outil naval et au pacte de Varsovie, avant de compléter ses analyses par une cinquantaine de documents – organigrammes, tableaux d’effectifs, comparaisons avec les forces occidentales, etc. – qui font de ce volume un ouvrage d’étude et de référence très utile. Mais il ne s’est pas contenté de cette description. C’est ainsi, par exemple, qu’un chapitre « La science militaire » analyse l’évolution des conceptions stratégiques depuis 1945, en mettant en lumière les hommes et les idées qui s’affrontèrent, qui s’agisse du poids respectif du potentiel non nucléaire et des armements nucléaires, ou du rôle nouveau attribué à la mer. C’est ainsi, encore, qu’il ne se contente pas davantage d’étudier l’armée au sens étroit du terme : il étudie les formations pré-, para- et post-militaires, notamment le Komsomol et la Dosaaf. En conclusion, il dégage « l’horizon 1985 », puisque c’est à cette date que l’armée soviétique atteindra sa puissance maximum, alors que, en raison même de leur âge, les dirigeants actuels auront cédé la place à des hommes non seulement nouveaux, mais probablement différents et que, pour des raisons diverses, la poursuite de l’effort technologique se heurtera à des difficultés grandissantes. C’est pourquoi l’échéance 1980-1985, si elle n’est pas « forcément apocalyptique », reste « fort préoccupante ». Les dirigeants actuels de Moscou ont a priori horreur des aventures. Mais leurs successeurs ? C’est sur cette question que se termine cet excellent ouvrage. ♦