La dernière guerre européenne (septembre 1939-décembre 1941)
John Lukacs est à la fois un historien et un philosophe de l’histoire de réputation mondiale. Son dernier ouvrage paru d’abord en 1976 en anglais (Lukacs vit aux États-Unis en Pennsylvanie) aux éditions Anchor Prcss/Doubleday sous le titre The Last European War est traduit par Jean-Pierre Cottereau. Il est le résultat d’un travail extraordinaire dont l’auteur révèle toute l’ambition en ces termes : « Le champ d’étude de ce livre est l’histoire de tout un continent au cours d’une énorme convulsion qui dura deux années ». La dernière guerre européenne a commencé en septembre 1939 et est devenue la Seconde Guerre mondiale en décembre 1941. Plus qu’une phase préparatoire, ces années ont été décisives. Si Hitler avait vaincu les Anglais en 1940 ou les Russes en 1941, il aurait gagné la guerre : avant décembre 1941, une victoire allemande était probable ; après, elle devenait impossible.
Il est rare, dans l’histoire des guerres, de pouvoir déterminer avec autant de précision des points-limites aussi nets.
Ce n’est pas le seul mérite de John Lukacs, qui conduit le lecteur à appréhender presque totalement le phénomène de la « dernière guerre européenne ».
La première partie de l’ouvrage, les principaux événements, relativement classique, est une histoire événementielle de ces deux années, pleine de faits généralement peu connus et de vues originales sur ceux-ci : « L’interprétation que je propose pour bon nombre de ces événements, et qui s’appuie sur le témoignage de sources relativement nouvelles, risque de sembler peu orthodoxe. Toute l’histoire, et à vrai dire toute pensée, consiste à repenser le passé ».
La seconde partie, les principaux mouvements, est consacrée à de nombreux aspects particuliers du phénomène, divers par leur nature même, éclaire et s’efforce de cerner sur tous les plans ce qui s’est réellement passé : « j’ai tenté de décrire la vie des peuples, les sentiments des nations, la convergence des idées et des croyances en leur donnant un certain ordre d’enchaînement et en illustrant quelques-uns des principes de la reconstitution historique que j’ai énoncés dans mes précédents travaux ». On y trouve aussi bien les mouvements de population que des descriptions des conditions de la vie matérielle (manger, boire, dormir), de la vie de la bourgeoisie et du « marché noir », des études comparées sur les vertus martiales et les armées des différents peuples, une vision de la droite divisée et de la faillite de la gauche, bien longtemps indécise dans ses positions vis-à-vis du national-socialisme, un panorama complet sur les relations entre les États et les idéologies qui permet de mieux comprendre la notion de neutre et d’engagé, le rôle des communications, de l’espionnage ou de la propagande. Les sentiments des nations, les affinités et les inimitiés, le problème juif et celui des chrétiens en Allemagne, rejetés par le régime nazi et essayant de lui plaire, sont exposés avec lucidité et fermeté.
Lukacs ne néglige jamais d’établir une dialectique entre individu et collectivité : et c’est peut-être cela qui rend ce livre aussi profond ; comprendre les liens qui unissent la pensée des gens et leur vie n’est pas une mince entreprise et l’auteur nous y aide considérablement. ♦