Comment les Français son entrés dans la guerre
Dans l’introduction à cet ouvrage monumental. René Rémond déclare : « Il sera désormais impossible d’écrire sur l’année 1914 sans se référer à ce livre ».
Et c’est indéniable. Dans cette enquête scrupuleuse, Jean-Jacques Becker restitue avec fidélité les sentiments et les comportements des Français au cours de l’année 1914, aussi bien des Parisiens que des provinciaux – trop souvent oubliés – aussi bien de la population rurale que de la population ouvrière qui est d’ailleurs l’objet d’une faveur toute particulière.
Sur le fond d’une chronique de l’année 1914, l’auteur cherche à analyser l’authenticité de l’Union sacrée et d’apprécier l’homogénéité réelle de l’opinion pourtant habituellement divisée.
Utilisant toutes les sources documentaires imaginables, des rapports des préfets aux rapports des Conseils d’administration des entreprises, de la presse aux enquêtes adressées aux instituteurs sur la mobilisation et l’adaptation des populations à la guerre (enquête qui n’avait pas encore été exploitée), l’auteur utilise les moindres indices, notamment l’étude du vocabulaire et la fréquence de certains termes.
Cette approche hautement scientifique ne réduit pourtant aucunement le caractère vivant de l’ouvrage, car le récit est associé à l’analyse et l’étaye par des évocations pleines de vie.
Apparaît ainsi l’évolution de l’opinion française, irrationnelle mais intelligible. Le poids du passé, l’importance des réminiscences, la fidélité de la classe ouvrière aux grands souvenirs de 1792 et 1793 expliqueraient le ralliement du mouvement ouvrier à la cause de la défense nationale, la cause de la Révolution étant associée à celle de l’indépendance de la France. Très intéressant à approfondir, ce point de vue explique-t-il suffisamment le ralliement du mouvement ouvrier ? S’agit-il de « souvenirs » ou simplement d’un instinct qui pousse les êtres d’une même communauté menacée à s’unir, quelle que soit leur condition sociale ?
C’est pourtant avec justesse que Jean-Jacques Becker montre à quel point le « réveil patriotique » reste minoritaire et le nationalisme peu belliqueux, soulignant par contre que si l’antimilitarisme a une vaste audience, le patriotisme n’en est pas moins vif. Et c’est le patriotisme qui conduit à prendre les armes en 1914.
Mais ce n’est pas dans l’enthousiasme que la population française a accueilli l’annonce de la mobilisation, comme le montrent bien des rapports, mais le départ au front se fait, après un intéressant et curieux revirement, dans l’ardeur et l’unité. Il s’agit d’une trêve en vue de gagner la guerre à laquelle l’extrême-droite aussi bien que la gauche ont souscrit, avec la pensée que l’épreuve serait de courte durée.
Fait également curieux, la longueur du conflit n’amoindrit pas l’endurance du pays, après la panique initiale causée par les premiers revers. Passé un premier moment de démoralisation, le pays se reprend et s’installe dans la guerre.
Pour mieux éclairer l’évolution de l’opinion, l’auteur analyse dans un premier temps le nationalisme et le soi-disant « renouveau nationaliste ». Il souligne l’insouciance d’une opinion plus préoccupée, en juillet 1914, du procès de Mme Caillaux que des questions internationales qui, au même moment, précipitent le pays dans la tourmente.
Résigné à l’annonce de la guerre, l’ouvrier s’y engage en soldat résolu. C’est ainsi que pourrait se résumer, bien sommairement, l’ouvrage dense et infiniment intéressant de Jean-Jacques Becker, dont l’abondance de la documentation n’est pas la moindre des qualités. Il parvient à démystifier les idées toutes faites si abondantes sur les débuts de la Première Guerre mondiale tout en restituant à merveille le climat général et les nuances de l’opinion.
Un document passionnant même si certains de ses points de vues et interprétations sont discutables. ♦