L’économie des forces
Ce n’est pas un ouvrage de stratégie mais une étude sur la meilleure manière d’équiper l’arsenal sans nuire à l’équilibre économique du pays. « Rien ne remplace la volonté d’une nation d’assurer elle-même sa défense et donc de s’en donner les moyens », affirmait le président Giscard d’Estaing en 1975. Encore faut-il que ces moyens n’épuisent pas la nation : le corps doit supporter l’armure. Il est même préférable qu’à la façonner, le corps y trouve son compte, s’aguerrisse et développe les meilleurs de ses réflexes. Faute de quoi le patriotisme pourrait en venir à tuer la patrie. Tel est le fil conducteur de ces pages d’analyse et de recherche.
À l’ère des techniques de pointe, le temps n’est plus où les dépenses militaires ne constituaient qu’un simple prélèvement sur les ressources nationales, un mal nécessaire. On a trop souvent insisté sur les effets prédateurs des budgets militaires sans prendre en considération leurs aspects positifs. Une étude serrée des données économiques a conduit l’équipe dirigée par Jean-Bernard Pinatel à constater qu’une réduction de l’effort militaire débouchait généralement sur un accroissement des dépenses de consommation au détriment des investissements. Il y a donc incontestablement un intérêt économique des crédits militaires. Mais il reste bien entendu nécessaire de les évaluer par rapport aux objectifs de développement que se fixe la nation. De plus on ne peut sans danger crever un certain plafond : or l’Otan a effectué de sévères études à ce propos, études d’où il ressort que l’effort militaire au sein d’une société de type occidental ne doit pas outrepasser 11,6 % du revenu national. Dans ces limites, les crédits militaires ont non seulement un effet incitatif sur l’économie générale du pays mais encore – et Galbraith l’avait déjà reconnu – un rôle important : celui d’unique volant de sécurité pourvu d’une inertie suffisante pour stabiliser les progrès économiques. Certes en période de récession cette utilité est moindre. Les effets d’entraînement techniques n’en subsistent pas moins. Les auteurs considèrent donc que si la rentabilité économique de la recherche-développement est difficilement mesurable, elle reste à coup sûr une source de progrès : « la recherche scientifique est une super-défense nationale ». Il existe une corrélation entre le secteur économique et les besoins militaires dont certains contrats permettent des innovations concurrentielles à terme, offrant ainsi un appoint économique certain.
Il est vrai que nous abordons alors le terrain des ventes d’armements avec toutes ses sinuosités commerciales et politiques. Le sujet est traité objectivement dans ce livre qui fournit également une analyse, secteur par secteur, de la situation actuelle en France. Pour les auteurs le rôle régulateur des exportations d’armes est désormais moins assuré qu’il n’y paraît. À terme l’entreprise est d’ailleurs tributaire d’un effort de standardisation au sein de l’alliance atlantique de même que notre politique d’équipement militaire doit être étudiée en fonction des contraintes nouvelles qui apparaissent dans le domaine industriel. Tout cela est examiné en détail, chiffres à l’appui.
La conjoncture n’est donc aucunement négligée dans cette étude dont le mérite essentiel est de mettre clairement en évidence que les dépenses affectées à la défense nationale ne sont en rien soustraites à la recherche civile. Un exemple est assez significatif : les pays qui ont renoncé à l’arme nucléaire (et en conséquence aux dépenses qui en découlent) comme le Japon et l’Allemagne de l’Ouest, ne sont pas plus en avance que la France dans le domaine, maintenant primordial, des nouvelles sources d’énergie, autres que nucléaires. Une judicieuse rationalisation de la recherche, des équipements et de la gestion de nos armées ne peut donc nuire à la santé économique du pays. À l’ère de la technologie la constatation s’impose : les esprits chagrins devront en convenir à la lecture de cette étude fort opportune. ♦