De Gaulle et les débuts de la Ve République (1958-1965)
Pendant les six ans durant lesquels il présida de 1959 à 1965, le Conseil constitutionnel, l’une des institutions nouvelles créée par la Ve République, M. Léon Noël fut reçu très fréquemment par le général de Gaulle qui témoignait des égards à ce diplomate chevronné et juriste éminent et qui écoutait ses avis avec beaucoup d’attention.
À l’époque, on ne sut rien ou peu de chose de ces conversations, ce qui n’empêcha pas les commentaires les plus fantaisistes de se développer après certaines de ces rencontres. Tantôt le Conseil constitutionnel, et surtout son président, étaient accusés de servilité à l’égard d’un pouvoir lui-même taxé de tendance dictatoriale, tantôt se répandait la rumeur perfide de rencontres orageuses entre les deux hommes. Ce livre de souvenirs, étayé de faits et de notes que l’ancien ambassadeur et conseiller d’État a prises au jour le jour, lève le voile sur ces entretiens et il est passionnant.
Cette qualité, il la doit au talent de l’auteur, à son style châtié mais qui n’interdit pas une narration très alerte, à sa plume acérée qui peut aller jusqu’à la férocité lorsqu’il s’agit de pourfendre les médiocres, qui à l’époque étaient plus pressés de retourner aux jeux néfastes de la politique politicienne des partis d’antan que de consolider la jeune République menacée dès sa naissance par le complot de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) et la malveillance conjuguée d’une certaine droite anti-gaulliste et de la gauche rancunière. Mais si l’ouvrage réussit à tenir en haleine le lecteur en dépit du caractère ardu des problèmes de droit constitutionnel qui en fournit la trame, c’est que l’histoire, encore toute palpitante, et notamment celle du drame algérien, en constitue le fond de tableau. C’est également parce que le personnage du général de Gaulle, cet acteur de l’histoire d’une envergure exceptionnelle, en sort encore mieux éclairé. Léon Noël fait ainsi comprendre comment, en vertu d’une logique qui n’a en vue que l’intérêt supérieur de la nation, le général, tout en étant profondément et sincèrement démocrate, est parfois conduit par la tournure des événements à considérer le Conseil Constitutionnel plus comme un moyen de gouvernement que comme une juridiction qui se situerait au-dessus de l’Exécutif.
L’ouvrage vaut également par maintes confidences révélées et par la netteté des portraits, dessinés avec une parfaite courtoisie mais sans complaisance.
L’auteur annonce qu’il entreprend la rédaction d’un nouveau volume consacré à la crise de la Ve République. Comme il a toutes chances d’être de la même veine, on peut être assuré de son succès. ♦