Le défi de la guerre. 1970-1974
Nous avons déjà donné un premier aperçu de cet ouvrage dans notre numéro de mai 1976. Mais l’importance de l’étude à laquelle se sont livrés ses auteurs à propos des conflits depuis plus de deux siècles mérite que nous y revenions une seconde fois, même si nous ne partageons pas entièrement leurs conclusions.
Dans la trentième année de l’âge nucléaire, l’humanité éprouve, après la confuse peur mythique de l’an 1000, la terreur scientifique de l’an 2000. Elle aborde avec un sentiment d’inquiétude le dernier quart d’un siècle qui a déjà vu deux guerres s’étendre à toute la planète. Elle s’interroge sur l’éventualité d’une troisième guerre mondiale qui, par ses dimensions nucléaires, dépasserait les deux premières. Elle redoute les risques d’extension des foyers de guerre encore embrasés et la multitude des micro-conflits qui, presque chaque jour, en un point ou l’autre du globe, troublent la paix des hommes. Face à cette situation, MM. Bouthoul et Carrère ont voulu, dans le cadre de l’Institut français de Polémologie, rechercher où en est l’humanité « dans ce champ de la guerre et de la paix », en étudiant les conflits armés majeurs – guerres et révolutions – que le globe a connus depuis deux siècles. Cette recherche, comprenant la sélection, le recensement, l’analyse codée, le traitement informatique et l’interprétation polémologique des 364 conflits armés majeurs de cette période, est la première réalisée en France.
La période étudiée va de la guerre de Succession d’Autriche à celle du Bengladesh. « La première est une guerre de succession de princes, guerre de grands États, rationnelle et mesurée, purement étrangère, sans troubles internes, conduite sur des espaces réduits et pour des enjeux limités, par des souverains rivaux mais cousins dans la chrétienté et parfois par les naissances ou les mariages… La seconde… est une guerre de succession de peuples se disputant l’héritage d’un Empire colonial, guerre civile avec intervention étrangère, passionnelle et irrationnelle, conduite pour un enjeu total… ».
De 1740 à 1945, les conflits armés majeurs, s’ils ont eu un caractère protéiforme dans l’espace et dans le temps, ont été l’une des expressions caractéristiques des sociétés : engendrés par elles, ils les transforment. À cet égard ils ont exprimé la dualité et la dialectique d’un monde bipolaire fondé sur la propriété terrienne et la frontière territoriale. Deux mondes géopolitiques ont dominé cette période : d’un côté une société complexe d’États européens, foyers de hautes pressions démographiques, idéologiques, technologiques, matérielles, politiques ; de l’autre, des sociétés diverses plus archaïques et plus morcelées, dans les autres continents, foyers de basses pressions dans les mêmes domaines. Depuis 1945, le monde a pris, par la décolonisation, une nouvelle structure des sociétés et un autre caractère bipolaire. Mais deux groupes continuent à dominer les rapports internationaux : d’un côté une société de jeunes États nés de la décolonisation, de l’autre une société divisée d’États anciens, encore foyers de hautes pressions technologiques civiles et militaires, agricoles et industrielles, mais foyers de basses pressions démographiques. « Les conflits armés majeurs de la période 1740-1974 sont nés d’une différence trop grande de pressions et de dynamismes entre l’Europe et les trois autres continents ».
On peut s’étonner de voir réduites à cette interprétation les causes des deux guerres mondiales. Mais, cette réserve faite, on ne peut que se féliciter d’un ouvrage de ce type, qui par sa nouveauté et par les lignes de recherche qu’il esquisse, peut permettre de nouvelles approches du « phénomène guerre ». Sans doute sa lecture est-elle parfois difficile, en raison du recours à un vocabulaire nouveau. Mais il apporte beaucoup, sur un sujet qui préoccupe tous les hommes, et qui reste mal connu en dépit de la littérature qu’il a alimentée. ♦