Vive le Front populaire !
C’est véritablement avec les yeux de la foi et de l’amour que Lucie Mazauric considère les troubles politiques qui ont bouleversé la France entre 1934 et 1939. La vie de son mari, André Chamson, fondateur du journal Vendredi où il se fait l’ardent défenseur du Front populaire est alors étroitement mêlée à des événements historiques. À travers la description de ceux-ci et de l’existence quotidienne du couple et de leurs amis, tels J. Guéhenno, Romain Rolland, Malraux, Giono, Martin-Chauffier, Wurmser, Nizan, Duhamel, Jules Romain pour n’en citer que quelques-uns, nous vivons ou revivons des faits politiques et prenons conscience de leurs conséquences sur la vie et la mentalité des Français.
Lucie Mazauric dénonce sans outrance les lâchetés, les trahisons, les faiblesses des uns et met en évidence le courage et l’enthousiasme politique des autres, offrant une image attachante de l’univers spirituel des intellectuels pleins d’espoirs et d’illusions politiques. Mais L. Mazauric oublie parfois les aspects « triviaux » des alliances politiques et s’indigne souvent de ce qu’elles vont de pair avec la violence.
À travers ses réflexions, l’on perçoit cependant l’évolution des intellectuels à la veille de la guerre, l’attrait qu’exercent encore la Révolution russe et le Parti communiste, « la pointe de diamant de la Révolution ». Devenu Conservateur du Musée de Versailles, André Chamson permet alors au couple de mener une vie dans un cadre somptueux et de passer des vacances en Espagne sans oublier les devoirs politiques et « le combat pour la paix sociale » dans des conditions matérielles en réalité précaires.
C’est après sa naissance, la chute du Front populaire que nous décrit l’auteur à travers les vicissitudes du journal Vendredi et leurs conséquences sur ses collaborateurs.
Exaltant le « souffle républicain » qui anime les défenseurs du Front populaire, Lucie Mazauric dépeint ensuite leur effondrement lors des débuts de la guerre civile en Espagne : « Cette guerre était déjà notre guerre. Elle nous frappait comme la foudre ». Dénonçant les excès de passions qu’elle suscita, elle décrit le « drame de famille » que fut cette guerre pour son ménage. Elle réalise cependant que ce n’est pas « hélas avec des plumes d’intellectuels que l’on gagne une guerre ». Le couple s’engage alors dans un voyage en Russie.
L’émotion qu’ils ressentent à leur arrivée au pays de Lénine ne fut que renforcée par leur « coup de foudre » pour les Russes. La description de ce périple idyllique entre Kiev, Moscou et Leningrad – où l’on regrette l’absence de considérations politiques ou sociales – finit sur un retour « sans joie » dans un Paris où les violences partisanes font rage.
L’ouvrage s’achève sur quelques tristes considérations sur les accords de Munich que Daladier n’aurait pu éviter de signer selon l’auteur, « la France étant coupée en deux et décidée à ne pas se battre ». Après avoir fait revivre les moments « qui ont donné à la France les plus généreuses et les plus justes lois de son histoire », Lucie Mazauric pense qu’ils ont aussi donné aux écrivains « le goût d’entrer dans l’arène au lieu de rester dans leur tour d’ivoire ». Elle regrette enfin avec lucidité la perte de certains amis pour des raisons d’incompatibilité idéologique, déplorant que les passions contraignent à « choisir entre son âme et son cœur ». ♦