Armées et sociétés en Europe de 1494 à 1789
Destiné, dans sa conception, à un public d’étudiants, l’ouvrage d’André Corvisier profitera en fait au plus grand nombre comme aux spécialistes universitaires et militaires. Professeur à l’Université de Rouen, Vice-président de la Commission française et de la Commission internationale d’histoire militaire, l’auteur connaît admirablement son sujet : son étude s’inscrit dans le renouvellement profond de l’histoire militaire qui a fait sortir celle-ci de « l’histoire-bataille » pour en faire un chapitre privilégié de l’histoire de la société et de l’histoire politique.
S’appuyant sur les méthodes et les recherches les plus récentes, l’auteur a conçu son étude dans le souci constant de relier l’histoire militaire à l’histoire des militaires et à celle de la société. Trois chapitres : Nation et Armée, État et Armée, La société militaire, assurent une progression intériorisée.
La société médiévale est une société « naturellement » militaire où le ton est donné par la noblesse terrienne pour qui les armes sont l’élément essentiel du prestige social. Le fait militaire, diffus, omniprésent, imprègne toute la société. L’évolution des conditions économiques, celle des mœurs, de la sensibilité, entraînent, à partir du XVIe siècle, et d’abord en Italie, une évolution rapide, qui s’achève au XVIIIe siècle : les armes reculent dans la considération publique, en même temps que la noblesse perd son privilège de classe guerrière.
Dans cette évolution, un rôle décisif revient à l’État : affirmant sa primauté politique et administrative, récusant les prétentions de la noblesse, brisant les particularismes, ses besoins sans cesse accrus en matière militaire en font l’agent le plus puissant des transformations de la société dans le sens d’une uniformisation des cadres sociaux et mentaux. Le coût croissant de la levée et de l’entretien des armées, les progrès de la spécialisation, la nécessité des armées permanentes débouchent sur une nouvelle donnée : la spécificité du fait militaire, la distinction entre « civils » et « militaires ». Une société militaire se constitue, distincte d’une société civile qui s’en remet désormais à des professionnels pour assurer la défense de la collectivité.
Il faudra les guerres nationales suscitées par la Révolution pour rétablir des liens étroits entre armée et société, que l’adoption du service militaire universel consacrera.
Cette brève analyse ne rend compte que très imparfaitement d’une étude des plus fouillées, des mieux documentées, qui fourmille de références précises, qui ne verse jamais dans les généralités, mais porte la plus grande attention aux faits nationaux, aux particularismes géographiques, sociaux et culturels de l’Europe.
La lecture de ce livre s’impose par la contribution qu’il représente à une authentique histoire des sociétés qui ne saurait négliger le fait militaire, un des agents les plus actifs de l’évolution des sociétés. ♦