Géographie des frontières
« Les frontières découpent l’espace géographique ; elles délimitent le contenu des États et font naître, sur leur tracé et à leur voisinage, une foule de phénomènes politiques, économiques et sociaux ». Plus encore sans doute, « la frontière appartient à ces concepts qui engendrent, presque toujours, des réactions émotives dont se nourrissent les passions nationales, voire nationalistes ». Ainsi posé, le problème des frontières apparaît avec ses deux dimensions majeures : la frontière délimite un État en même temps qu’une communauté humaine qui ne définit pour elle-même au moins autant que pour son cadre juridique.
Sans doute les problèmes frontaliers ont-ils été « dédramatisés », sans doute le développement des échanges de tous ordres a-t-il affecté l’idée que les hommes, lorsqu’ils ne se déplaçaient qu’à l’intérieur de leur univers quotidien, se faisaient de la frontière matérialisée par des poteaux. Il n’en demeure pas moins que la frontière reste profondément enracinée dans le « moi » collectif : en Occident la Nation reste le seul mode d’existence organique des communautés humaines, et une Nation ne s’exprime qu’incarnée dans un État ; dès qu’une collectivité non-occidentale accède à la conscience de Nation, elle demande à être reconnue comme État, donc à avoir des frontières, même si elle appartient à une civilisation de nomades à qui la notion de frontière est étrangère. Dans le même temps, à une époque où se font jour de nouvelles conceptions d’intégration économique entre les États, l’idée de frontière, rempart militaire et bouclier du protectionnisme, sacralisée par le nationalisme et l’histoire, est remise en question.
Le livre de Paul Guichonnet et Claude Raffestin, tous deux professeurs à l’Université de Genève, étudie d’abord les rapports entre frontières et sociétés. Puis il analyse les « franges pionnières » (notamment aux États-Unis, en Union soviétique, en Israël) et les frontières politiques (la volonté politique établit parfois des limites différentes de celles que suggéreraient la géographie et l’histoire). Enfin, il s’attache à « la frontière dans le contexte régional » et à quelques exemples de régions frontalières : la région franco-sarroise, la région de Bâle, la région franco-genevoise. En conclusion les auteurs estiment que la frontière n’est pas « ce simple instrument de l’État que les cartes traduisent par des lignes discrètes et fragiles. L’étude de la frontière introduit à la connaissance d’un système, celui des marges ». Elle n’est pas un simple phénomène géographique, mais un phénomène social. ♦