Les systèmes du destin
« L’humanité est malade du futur », ainsi commence le livre. Les systèmes du destin dans lequel Jacques Lesourne constate que l’art politique est impuissant à maîtriser l’évolution de l’humanité. Compte tenu des finalités de la politique (sécurité, égalité, efficacité, participation, liberté) et en raison de la vanité des mythes et des idéologies politiques, qu’elles soient de droite ou de gauche, l’auteur recherche « une nouvelle politique qui permette l’autocontrôle de l’histoire humaine ».
Cette recherche le conduit à constater trois « insuffisances de contrôle » dont l’interaction est la cause du chaos du monde actuel. Il s’agit des déséquilibres psychologiques individuels. des incapacités de régulation à court terme des systèmes politiques nationaux et de la concurrence destructrice entre les nations.
Montrant ainsi que le fonctionnement des collectivités humaines ne peut être compris et maîtrisé sans une Méthode, il préconise l’épistémologie scientifique qui offre « un concept majeur destiné à jouer un rôle fondamental dans l’évolution de la pensée humaine : c’est le concept de système ».
Ce concept est au centre du livre « parce qu’il permet de comprendre comment, à partir de machines passives, peuvent se constituer des êtres adaptables doués d’intelligence et d’initiative et capables de performances exceptionnelles ». Grâce à la notion de système, « le mystère divin recule dans l’homme et dans la société », proclame alors Jacques Lesourne, concluant que le « problème des chances de réussite de l’humanité peut ainsi être abordé dans une optique qui rejette toute métaphysique. »
Il s’agit là, nous semble-t-il, d’un autre débat qui touche davantage à la philosophie de l’existence qu’à celle de l’action, or c’est l’action qui est au centre de la présente réflexion.
Cette réflexion sur l’action concerne d’abord l’individu, et l’auteur esquisse le modèle idéal de l’homme. Cette réflexion sur l’action concerne ensuite l’entreprise et l’administration puis le système économique et enfin les systèmes politiques nationaux et internationaux.
Dans chacun des thèmes abordés, Jacques Lesourne, profondément imprégné des méthodes de l’analyse systémique telle qu’elle est couramment pratiquée aux États-Unis et telle que David Easton l’a inaugurée, démonte pour ainsi dire les systèmes existants et met en évidence leurs défauts.
Il aboutit ainsi, dans un dernier chapitre – un peu trop mince à notre avis compte tenu des promesses du premier chapitre en ce qui concerne la résolution des problèmes de notre temps – à une « synthèse pour l’espérance ». Nous y trouvons d’abord résumée une explication du titre, « les systèmes du destin » : ce sont les systèmes qui composent l’univers perçu, le système individuel biologique d’une part, les systèmes politiques des nations de l’autre.
Mais nous trouvons également une réponse à la question que le lecteur se sera peut-être posée tout au long du livre : à quoi sert la mise en évidence de ces systèmes ? D’abord à appréhender le réel d’une manière « neutre » sans recours à des valeurs, des passions ou des idéologies pour aboutir à une « auto-organisation cohérente d’une réflexion sur les finalités ». Ensuite à réorienter la science et en élever le niveau, à développer la prospective, à « mettre à tous les niveaux l’imagination au pouvoir » et enfin à agir constamment en fonction des trois « insuffisances de contrôle ».
Ce formidable ouvrage – on nous pardonnera ce qualificatif – repose sur une abondante bibliographie qui ne saurait que renforcer l’admiration devant une telle construction de l’esprit.
Mais avouons que son ampleur laissera sceptiques certains lecteurs. Le reproche que Jacques Lesourne adresse à ceux qui croient posséder le remède aux maux du monde en proclamant un « credo » politique, ne pourrait-il se retourner contre lui ? Non certes qu’il dissimule sous son analyse incontestablement scientifique, des doctrines politiques, mais parce que son explication systémique du monde est aussi un peu un « catéchisme ».
Accueillons ce livre avec le respect et l’attention qu’il mérite, mais n’oublions pas qu’il n’offre à son tour qu’une solution parmi tant d’autres. ♦