La vérité sur l’armistice
L’ouvrage que vient de publier, aux Éditions Médicis, M. l’ambassadeur Albert Kammerer, présente un intérêt considérable par la somme des documents, dont certains inédits, qui s’y trouvent réunis et par la manière attachante dont l’auteur les a présentés. Cet ouvrage constituera certainement un précieux instrument de travail pour les historiens qui, dans quelques années, une fois les passions apaisées, entreprendront, avec la sérénité et l’objectivité qui conviennent à une pareille tâche, d’écrire une histoire vraiment impartiale de cette époque si émouvante et si dramatique de l’histoire agitée de notre pays, longue succession de victoires et de revers alternés…
C’est que M. l’ambassadeur Kammerer, résistant moral de la première heure, n’entend nullement se placer « au-dessus de la mêlée ». Réprouvant, dès l’abord, le principe même de l’armistice de juin 1940, il estime, à juste titre, que le Gouvernement de la République aurait dû, comme les gouvernements norvégien, hollandais, belge et danois, éviter d’associer l’État français à une capitulation militaire dont il reconnaît l’inéluctabilité à partir du 15 juin. Mais cette conviction partagée seulement, en ces sombres jours, par une petite minorité de patriotes français, l’incline à une extrême sévérité à l’égard de tous ceux des acteurs du drame qui ne la partageaient point et à une indulgence excessive pour ceux qui étaient – ou qui lui paraissent avoir été – de son propre avis. C’est ainsi qu’il se montre impitoyable pour les principaux responsables de cette funeste décision (le maréchal Pétain, M. Camille Chautemps et surtout le général Weygand), mais il ne l’est guère moins pour M. Paul Reynaud, qui a cependant lutté désespérément pour écarter, puis retarder, une capitulation politique qu’il réprouvait.
Cet état d’esprit incline, d’autre part, M. Kammerer, à une surprenante indulgence à l’endroit du général Gamelin, dont il ne peut cependant ignorer que, par son manque d’autorité et de caractère, il avait virtuellement perdu, dès janvier 1940, la confiance de l’Armée. Bien loin de reprocher à M. Paul Reynaud de ne l’avoir point écarté dès sa prise du pouvoir (22 mars 1940), il lui fait grief de l’avoir relevé de son commandement en pleine bataille, estimant qu’il était seul capable de redresser la situation (et cependant M. Kammerer convient que le général Gamelin a pratiquement cessé de commander du 16 au 19 juin, ce qui paraît contradictoire).
Le fait d’avoir été internés au Portalet, puis traduits devant la cour de Riom, et enfin déportés en Allemagne, ne saurait cependant suffire à blanchir tous ses pensionnaires. Le même état d’esprit conduit M. Kammerer à approuver, presque sans réserves, toutes les décisions du Gouvernement et du commandement britanniques pendant cette période cruciale : non-obéissance de Lord Gort aux ordres du général Weygand, retrait proprio motu des deux divisions anglaises du secteur d’Arras, retraite hâtive vers Dunkerque, etc. M. Kammerer va même jusqu’à approuver et à justifier l’action du Gouvernement et de l’amirauté britanniques à Mers-el-Kébir, dont le moins qu’on puisse dire, en écartant tout argument de sentiment, c’est qu’elle a puissamment servi la propagande du docteur Gœbbels et constitué, de ce fait, une lourde faute politique. Mais, ces réserves faites sur les tendances de son auteur, l’ouvrage n’en apporte pas moins une contribution capitale aux travaux des historiens de l’avenir et, dans l’immédiat, présente un puissant attrait pour tous les Français qui recherchent encore, avec un intérêt passionné, les causes profondes de notre effondrement de 1940, étant convaincus que la résurrection triomphale de 1945 ne saurait absoudre les fautes et les défaillances dont nous avons failli mourir.