La Tragédie de Mers-el-Kébir
Dans sa Tragédie de Mers-el-Kébir, complément de son ouvrage La Vérité sur l’Armistice, M. l’ambassadeur Kammerer expose, de façon claire et objective, la genèse, puis les péripéties d’un « des événements les plus dramatiques et les plus douloureux de la guerre ». Dans la première partie de son étude, l’auteur nous montre à quel point le sort de la flotte française a été la préoccupation dominante du Gouvernement britannique à partir du moment où, au Conseil suprême de Tours (13 juin), fut envisagée, pour la première fois, l’hypothèse d’un armistice séparé de la France. Dès ce moment, M. Winston Churchill, tout en adoptant l’attitude la plus généreuse à l’égard de notre pays, déclara catégoriquement que la condition préalable pour que la France fût relevée de son engagement formel du 28 mars 1940, « serait l’envoi, avant et pendant toute la durée des négociations, de la flotte française dans les eaux anglaises, afin qu’elle y fût en sécurité contre les tentatives éventuelles allemandes de s’en emparer ».
« Les Lords, écrit l’auteur, arrivèrent à cette fatale conclusion qu’il fallait : ou bien mettre la flotte française à l’abri d’une tentative allemande ; ou bien la détruire. Telle a été la cause et l’origine de la tragédie à jamais déplorable de Mers-el-Kébir… »
Dans la seconde partie de son étude, M. Kammerer expose les diverses actions entreprises contre les détachements de la flotte française, réfugiés dans les ports anglais ou africains, en s’étendant particulièrement sur la plus importante, celle de Mers-el-Kébir. Il nous donne le texte complet d’un document capital, l’aide-mémoire présenté à l’amiral Gensoul par l’amiral Sommerville, le 3 juillet 1940. Ce texte fut soigneusement dissimulé à l’opinion française par le gouvernement de Vichy qui, contrairement à la vérité, prétendit qu’il ne laissait à la flotte française le choix qu’entre ces deux solutions : rallier la flotte anglaise pour continuer la lutte avec elle ou se saborder dans les six heures. Or, l’ultimatum présenté au Commandant en chef français comportait deux autres solutions : « a) Appareillez, avec équipages réduits, sous notre contrôle vers un port britannique ; b) alternativement, si vous vous sentez tenus de stipuler que vos navires ne peuvent être employés contre les Allemands ou les Italiens, parce que cela pourrait rompre l’armistice, alors, conduisez-les, avec équipages réduits, vers un port français des Indes orientales, par exemple, la Martinique, où ils pourront être désarmés à notre satisfaction ou peut-être confiés aux États-Unis. » L’adoption de cette dernière clause aurait permis d’éviter la catastrophe, à la condition que le Commandant en chef français, prenant délibérément ses responsabilités, s’abstînt d’en référer au faible gouvernement de Vichy, dont il fallait, avant tout, ne pas provoquer l’intervention.
En concluant cette étude sur le « drame de Mers-el-Kébir » M. Kammerer observe que, dans l’extrême péril où se trouvait l’Angleterre, en juillet 1940, elle ne pouvait pas assumer le risque de voir la flotte française tomber aux mains des Allemands. « Du point de vue juridique et international, on ne peut la condamner d’avoir été hypnotisée par l’immensité de ce risque qui, en définitive, était aussi le nôtre. » Mais, contrairement « à l’impression erronée que nous avions retirée de la lecture de La Vérité sur l’armistice, il désapprouve entièrement, sur le plan politique, l’action du Gouvernement britannique. Après avoir cité le discours du général de Gaulle du 5 juillet et constaté que « la rigueur de l’action fut ressentie non seulement par les Français, mais aussi par beaucoup de Britanniques », il en vient à cette conclusion qui mérite de recueillir l’adhésion générale : « La tentative allemande sur la flotte de Toulon vint justifier, après coup, les craintes anglaises, qui se traduisirent par Mers-el-Kébir. Mais le sabordage de Toulon vint aussi, après coup, justifier l’affirmation des marins français : qu’ils étaient décidés à ne pas laisser réussir un coup de main sur leurs navires et, par conséquent, que le massacre de Mers-el-Kébir, même justifié, n’ayant pas été indispensable, était une faute politique. »