La vie aventureuse et mouvementée de Charles-Henri Comte d’Estaing
Dans le cadre de notre histoire maritime, et plus généralement de celle des dernières décennies de l’Ancien Régime, c’est une biographie d’un intérêt exceptionnel que nous donne le capitaine de vaisseau Jacques Michel, du service historique de la marine. Et ceci à bien des égards. Il retrace, en effet, dans une édition à la présentation prestigieuse, la vie d’un personnage hors du commun, tout à tour soldat, marin, grand administrateur, diplomate, dont l’activité fut telle, dans chacun de ces domaines, qu’en suivant ses pas, ce sont tous les événements importants de la seconde moitié du XVIIIe siècle que l’on parcourt : guerre de Succession [NDLR 20202 : d’Autriche], où nous le trouvons capitaine à 17 ans et colonel à 18 ; expédition de Lally-Tollendal en océan Indien, au cours de laquelle, colonel, il fait l’apprentissage de la mer : guerre de Sept Ans (1756-1763) où, à 31 ans, il est général : guerre de l’Indépendance américaine (1775-1783) où, cette fois, il est chef d’escadre. Entre-temps, les fonctions de gouverneur de l’île de Saint-Domingue et, plus tard, de la province de Touraine, ont élargi le champ de ses activités. On le voit, enfin, témoin au procès de Marie-Antoinette avant d’être lui-même arrêté en novembre 1793 et exécuté l’année suivante.
La guerre de l’Indépendance américaine qui, en ce qui concerne la France, fut essentiellement maritime, et le rôle qu’y joua d’Estaing, seul officier d’un grade élevé à avoir participé de bout en bout à sa préparation et à son exécution, tiennent à juste titre une large place dans l’ouvrage et lui donnent, en cette année du bicentenaire, un intérêt tout particulier d’actualité.
Un personnage tel que d’Estaing, ardent, courageux, séduisant, ami du Dauphin avec qui il fut élevé, devait nécessairement susciter de nombreuses jalousies, non seulement des habitués de la Cour, rompus à toutes les intrigues, mais de ceux à qui sa brillante carrière portait ombrage. En historien impartial, l’auteur examine ces critiques, faisant justice, le cas échéant, de leurs excès.
Nul, mieux que le capitaine de vaisseau Michel, n’était en mesure d’écrire cet ouvrage : historien, il a eu accès à de très nombreuses archives : Service historique de la Marine, archives de France, archives départementales, toutes très riches sur l’époque traitée. Mais aussi il a eu accès, par relation de voisinage, à une source particulièrement précieuse et jamais encore exploitée, celle du château de Ravel, résidence préférée des derniers comtes d’Estaing.
Marin et, à ma connaissance le premier marin à s’être penché en historien sur les guerres de l’Indépendance, il a analysé avec une grande finesse et une parfaite objectivité la carrière et l’action de l’amiral. Il s’est en outre soucié de rendre accessible à tout lecteur l’aspect technique du domaine étudié. À cet égard, on ne saurait manquer de souligner, parmi les nombreuses annexes de son ouvrage, l’intérêt de deux d’entre elles : l’une qui lui a, à coup sûr, imposé de longues et minutieuses recherches, résume dans un tableau d’une parfaite clarté les mouvements des diverses escadres françaises pendant la guerre de l’Indépendance ; l’autre annexe donne des renseignements, succincts mais précieux, sur la marine royale de la seconde moitié du XVIIIe siècle : catégories de navires, armements, principes des manœuvres.
Est-il besoin d’ajouter que cet ouvrage, mûri par son auteur au cours de cinq années de recherches et de mise au point, écrit dans un style clair et aisé, alliant le plaisant de l’anecdote à la rigueur de l’histoire, est d’une écriture dont on ne saurait trop souligner à la fois le charme et l’intérêt. ♦