Le Projet Espérance
C’est moins en homme politique et davantage en philosophe que Roger Garaudy aborde ici le problème de la création d’un monde meilleur. Car si tous les aspects du « système » qu’il conteste sont essentiellement politiques, la perspective finale paraît relever d’un certain humanisme.
Le Projet Espérance est en quelque sorte la suite de Parole d’Homme et de l’Alternative. L’auteur y expose les éléments de sa critique du monde tel qu’il est devenu et les mesures qu’il préconise pour abolir « l’aliénation » moderne.
Dénonçant avant tout les dangers de la recherche pour le développement de l’énergie atomique, s’insurgeant contre l’automobile individuelle, les exportations d’armes de la France et la publicité (« liturgie de la religion de la croissance »), il attribue tous ces maux à l’économie de marché. Celle-ci repose, selon lui, sur l’intérêt personnel et la concurrence qui n’ont aucun point commun avec l’intérêt collectif qui devrait être le but de tout système politique.
Cette prise de position ne le conduit pas à un éloge du système soviétique, bien au contraire. Il dénonce le rôle négatif de la planification centralisée, « le despotisme politique », le « dogmatisme étouffant » en URSS et il les explique par l’adoption des mêmes objectifs de croissance que dans le système capitaliste.
S’il y a partout échec des socialismes, c’est qu’il y a confusion des moyens et de la fin et que toutes les initiatives ont été et sont prises par le haut et non par la « base ».
On relève ici, et d’une manière générale dans tout l’ouvrage, une véritable foi dans la personne, mais dans une personne conçue comme un élément de la « base », et cela conduit à une sorte de religion de « l’homme transcendant », élément de la société et qui pourrait donner lieu à une controverse passionnante. C’est aussi au nom de ce respect de la « base » qu’il considère les partis comme une forme politique périmée et les Parlements comme une délégation de pouvoir aliénante.
Il propose donc un système de représentation nationale assuré par un Congrès de conseils de travailleurs manuels et intellectuels devant lequel l’exécutif, dont il admet le maintien, serait responsable. Par ailleurs, dénonçant la structure actuelle des entreprises, il propose de remplacer ces « sociétés de capitaux » par des « sociétés de personnes » où « la propriété des biens de production ne confère pas le pouvoir de commandement et d’accaparement des bénéfices ». Il faut que dans le travail, l’épanouissement humain l’emporte sur l’efficacité technique et que les décisions soient prises autrement que par l’appareil bureaucratique de l’État. Contrôle et gestion de l’entreprise doivent être assurés par les travailleurs.
Enfin le système d’enseignement actuel, « sécrété par l’économie de marché » ne lui paraît pas non plus correspondre aux exigences du monde moderne. Il préconise un « système d’enseignement alterné » où l’étudiant « bénéficierait de la double expérience du travail intellectuel et manuel ». Il récuse tout l’aspect de transmission d’un héritage culturel qui devrait cependant, avec la préparation à la vie professionnelle, constituer l’une des fonctions de l’enseignement.
Reprenant l’idée des trois principes de Montesquieu correspondant à des régimes donnés, Garaudy fait reposer son « système socialiste d’autogestion » sur le principe de la « créativité ». Il veut que l’homme « devienne créateur de l’histoire » responsable et que la société soit orientée vers l’avenir et non vers le présent comme la société individualiste ou sur le passé comme la société totalitaire où la communauté préexiste à l’individu.
Mais cet « homme transcendant » dont l’auteur dessine l’image idéale, n’est-il pas déjà proposé par le christianisme ? Garaudy n’examine guère cet aspect du message chrétien et réinvente une nouvelle transcendance.
L’appel qui clôt son livre est un refus de la croissance pour la croissance, un cri d’alarme, un programme. Mais les conseils d’autogestion, les communes de base, les centres d’initiative culturelle pourront-ils réellement refaire le « tissu social » ? En souhaitant que la politique ne soit plus une technique d’accès et de maintien au pouvoir mais une réflexion sur les fins de la société globale, a-t-il suffisamment considéré l’homme à travers 5 000 ans d’histoire pour espérer pouvoir le « transcender » à ce point ? ♦