De la Révolution à la Restauration. Écrits et lettres
Alors que dans son Traité de la Guerre (Vom Kriege) Clausewitz est un stratège, un théoricien de la guerre, il apparaît dans ce recueil également comme un penseur politique et même un historien. Des écrits divers y sont regroupés (mémoires, manifestes, plans de campagne, encore inédits en France et même peu accessibles en Allemagne) ainsi que des lettres à sa femme, à Gneisenau et un compte rendu d’un ouvrage de von Bülow.
Précédés de brèves mais très denses introductions, ces textes complètent le Traité d’un double point de vue. D’une part, c’est la formation de la pensée stratégique de Clausewitz de 1804 à 1812, années qui ont suivi son entrée à l’Académie militaire et précédé les premières ébauches du Traité qui est mise en lumière, d’autre part, ces écrits divers, regroupés en ordre chronologique autour de certains événements majeurs, donnent une vision plus ample des idées de Clausewitz. Ces événements sont : la campagne de 1806 et la défaite de Iéna, le voyage en France (1803-1807), la réforme militaire en Prusse par Gneisenau et Scharnhorst (1807-1812), la campagne de Russie et la seconde abdication de Napoléon (1812-1815).
Cette présentation qui consiste à mélanger les genres (lettres à son épouse et écrits officiels) ne réduit en rien l’importance scientifique de l’ouvrage.
On retrouve la clarté des idées et la profondeur des vues de Clausewitz aussi bien dans les chapitres théoriques que dans les réflexions pertinentes sur les événements politiques de son temps qu’il adresse à son épouse. Sa tendresse à son égard contraste cependant avec la froideur relative des autres écrits. On sera également frappé de la sécheresse de ses propos sur l’art, alors que le sujet s’y prête moins que… l’art militaire. Elle contraste également avec la vivacité de ton de ses descriptions de la vie en campagne.
Partout perce le patriotisme, la priorité qu’il accorde aux événements politiques et militaires sur sa vie privée, un certain orgueil même, et, surtout, un profond réalisme. Ne dit-il pas, par exemple, lorsqu’il critique l’ouvrage de von Bülow, que « l’art de la guerre consiste à tirer le meilleur parti des moyens donnés, aussi bons ou aussi mauvais soient-ils ». Lorsqu’il définit les éléments de l’art militaire à l’adresse du futur Frédéric-Guillaume IV, il précise que l’un des objectifs de la guerre est de gagner l’opinion publique. Ce souci permanent de l’« esprit public » n’est d’ailleurs pas sans lien avec sa conception des « guerres nationales ».
Ce sont, malgré tout, ses considérations sur la société européenne, sur l’art, les descriptions des grands de son temps et ses lettres de France et sur la France qui paraîtront les plus neuves, émanant d’un personnage dont le nom est à tort exclusivement associé au domaine militaire.
On pourrait ainsi méditer longuement sur certaines réflexions que lui inspire la défaite de son pays face à Napoléon. Toujours le souci de l’unité allemande est présent. Il en perçoit l’impossibilité en 1815, mais ne doute pas qu’elle se réalisera par le « glaive », sans que l’on puisse prévoir sous la conduite de quel État.
Dans sa méthode enfin, Clausewitz historien apparaît, à bien des égards, extrêmement moderne, notamment lorsqu’il reconnaît la « nécessité de jeter ce regard de bon sens sur l’histoire de nos structures de société pour mieux discerner la situation politique qui est nôtre ».
L’ouvrage s’achève sur une lettre de son épouse et une brève bibliographie. Il faut également mentionner la qualité de la traduction de Marie-Louise Steinhauser à laquelle le lecteur français est redevable d’avoir comblé une grande lacune. ♦